Reprendre la main sur le travail
Près d'un quart des actifs occupés se disent gênés dans leur vie quotidienne par un problème chronique de santé " causé ou aggravé " par leur travail, selon une étude publiée en novembre1 . Comme l'on pouvait s'y attendre, ce ressenti douloureux affecte en premier lieu l'appareil ostéo-articulaire et la sphère psychique, sous forme de stress ou d'anxiété.
Même si les auteurs de l'étude affichent une grande prudence, en insistant sur le fait qu'il s'agit d'une enquête déclarative, ces chiffres confirment une tendance difficilement contestable. Et inquiétante. De nombreux salariés français souffrent dans leur chair et dans leur tête de leurs conditions de travail. Le problème n'est pas nouveau. Cela fait belle lurette que les gestes répétitifs, les contraintes de temps de plus en plus sévères, l'intensification du travail, l'absence de marges de manoeuvre sont connus pour générer les deux principaux fléaux de la santé au travail : les troubles musculo-squelettiques (TMS) et les atteintes psychiques. D'ailleurs, ceux-ci font l'objet depuis des années de tous les plans de mobilisation possibles et imaginables de la part des pouvoirs publics et des acteurs de la prévention.
Sauf qu'il faut bien se rendre à l'évidence : ça ne marche pas. Même le ministère du Travail, pourtant promoteur de l'obligation de négocier sur la prévention du stress dans les entreprises de plus de 1 500 salariés, déplore la pauvreté du contenu des accords signés entre les partenaires sociaux sur ce sujet. Les voeux pieux, les mesures d'accompagnement individuel et la reprise des obligations déjà inscrites dans le Code du travail ne sont pas de nature à changer le travail et à remédier aux causes profondes de ces désordres.
C'est dans ce contexte morose qu'il convient d'accueillir avec optimisme le résultat de la recherche-action menée par la CGT de Renault, précisément sur les risques psychosociaux, avec le cabinet Emergences et plusieurs chercheurs proches du réseau de Santé & Travail. Les militants syndicaux ont ouvert des chantiers sur plusieurs sites du groupe automobile, où ils sont allés à la rencontre du travail. Laissant de côté le discours global sur les dégâts de la mondialisation, quittant aussi leur posture de " sachants " venus prêcher la bonne parole aux salariés, ils se sont mis à l'écoute des difficultés que ces derniers rencontrent pour effectuer un travail de qualité. Ensemble, ils ont repéré ce que chacun met de lui-même dans son travail, la touche personnelle qui fonde son humanité et qui est bien souvent entravée par la standardisation imposée par l'organisation. Ensemble, ils en ont débattu, mettant au grand jour, dans l'espace public de l'atelier, du bureau ou du magasin, les contradictions qu'affrontent quotidiennement les salariés. Poursuivant la dynamique amorcée il y a quelques années par la CFDT avec " le travail intenable ", les militants cégétistes n'ont pas promis de Grand Soir, mais ils ont permis à des salariés de reprendre la main sur leur travail, de retrouver une autorité collective face au discours du management. Et même d'amorcer, dans certains cas, une transformation. Une politique des petits pas indispensable pour retrouver du pouvoir d'agir.
- 1
" Les pathologies liées au travail vues par les travailleurs ", Dares Analyses n° 80, novembre 2010.