Reprise d’activité : « Il faut créer une cellule paritaire Covid »
Le déconfinement signe le retour en entreprise de nombreux salariés. L’évaluation des risques, en amont, et les ajustements, en aval, devraient être discutés dans une « cellule paritaire Covid », explique l'ergonome Anne Benedetto.
Quelle est la première étape pour s’assurer de protéger le personnel lors de la reprise d’activité ?
Anne Benedetto : Il est important de créer une « cellule paritaire Covid » réunissant différents acteurs : les représentants de l’employeur, ceux du CSE, la commission santé, sécurité et conditions de travail – quand il y en a une –, mais aussi le médecin du travail ou des membres du service de santé au travail interentreprises. On devra également mettre dans la boucle le contrôleur de la Carsat [caisse d’assurance retraite et de la santé au travail] ainsi que l’inspecteur du travail.
L’action de cette commission doit être pensée sur la durée, d’abord pour préparer le redémarrage et ensuite pour ajuster au mieux les conditions de l’activité au fil de la reprise. Et ce, en questionnant le travail et en s’appuyant sur les savoir-faire des salariés qui l’exercent. Eux sauront adapter intelligemment et collectivement leurs situations de travail en respectant des règles sanitaires. Et ils s’approprieront d’autant plus facilement les arrangements nécessaires qu’ils émaneront de cette réflexion partagée.
Comment actualiser de façon effective le document unique d’évaluation des risques ?
A. B. : Il ne suffit certes pas de lui ajouter un onglet Covid. Il faut reprendre l’ensemble de ce document pour l’amender par unité de travail. Car ce n’est pas le poste qui compte mais la situation de travail, qui inclut la coactivité et la variabilité, là où se nichent les risques de contamination notamment. Si on le conçoit à partir de là, il est possible de bien identifier quelles sont les prises de risque sanitaires et de déterminer ce qu’on peut mettre en place pour les éviter dans chaque cas.
Comment mettre sur pied le plan de retour au travail ?
A. B. : Des allers-retours constants entre les membres de la cellule Covid et les salariés concernés sont nécessaires pour prendre le pouls sur le terrain, y compris auprès des télétravailleurs. Cette cellule doit être « outillée », avec des questionnaires sur les mesures mises en œuvre afin de formaliser les retours d’expérience. Une fois la reprise effective, il est important de mettre en place des « fiches de situations problèmes » que les salariés peuvent faire remonter à la cellule, chargée d’y répondre. D’autres actions s’imposent : former les salariés à l’importance de se laver les mains régulièrement, aérer les locaux trois fois par jour pendant quinze minutes, mettre en quarantaine les produits qui arrivent de l’extérieur, désinfecter les surfaces et prendre le temps de faire tout cela.
Quels sont les risques collatéraux potentiels des mesures de protection sanitaire anti-Covid-19 ?
A. B. : Les écrans anticontamination peuvent contraindre les postures ; par ailleurs, le port de masques et de lunettes est susceptible de provoquer des chutes. Les mesures de distanciation sociale, l’accroissement des déplacements gênent les communications. Ne pas partager le port de charges lourdes pour éviter les contaminations est davantage physique… Le sentiment de ne pas pouvoir réaliser un travail de qualité peut aussi émerger. Un vendeur dans un magasin de bricolage à qui sa direction a demandé de remplir les rayons mais de ne pas conseiller les clients m’a ainsi confié que, pour lui, c’était perdre l’essence même de son métier. Sans compter les risques psychosociaux liés au sentiment d’insécurité au travail, avec la crainte sous-jacente de contaminer les familles, et l’intensification du travail due à la difficulté de tenir la cadence compte tenu du respect des gestes barrières. La polyvalence peut être accrue, par exemple quand l’organisation du travail consiste à constituer deux équipes pour limiter le nombre de personnes sur site en même temps. D’où l’importance, à la reprise, d’une montée en cadence qui se fasse de manière progressive, sinon on va droit dans le mur.