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Reprotoxiques : une prévention lacunaire pour les femmes

par Joëlle maraschin / 12 décembre 2024

Les expositions professionnelles aux substances reprotoxiques, susceptibles de causer infertilités, pathologies de la grossesse, voire malformations congénitales, restent peu prises en compte. De nouvelles consultations hospitalières dédiées vont ouvrir leurs portes pour pallier les insuffisances de la prévention.

Si le rôle des polluants de l’environnement sur la fertilité et la santé reproductive fait l’objet de nombreuses études, celui des expositions aux reprotoxiques dans le cadre de l’activité professionnelle est souvent oublié. Et c’est encore plus vrai s’agissant des femmes. C’est en filigrane le message d’alerte de plusieurs spécialistes lors la dernière Journée de l’Institut Santé-Travail Paris-Est (IST-PE), organisée le 28 novembre 2024 au Centre hospitalier intercommunal de Créteil et consacrée aux reprotoxiques. 

Pesticides, solvants et cosmétiques

Ce que les spécialistes nomment infertilité affecte un couple sur huit. Cette infertilité peut d’être due à l’homme, à la femme, ou aux deux.  « Les travaux concernant les impacts de l’exposition professionnelle sont bien moins importants pour les femmes que pour les hommes », observe Ronan Garlantezec, professeur en santé publique au CHU de Rennes. Les quelques résultats disponibles sont pourtant alarmants. La fertilité des femmes exposées aux solvants ou aux pesticides est altérée, un effet sur la santé psychique et physique loin d’être anodin en cas de projet d’enfant. Sans compter le recours aux soins et les impacts sur la qualité de vie entraînés par les troubles de la fertilité. D’après une méta-analyse de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), les coiffeuses et esthéticiennes exposées aux produits cosmétiques mettent quant à elles plus de temps à concevoir que les autres. 
De nombreux produits reprotoxiques sont en cours de classification en France dans le cadre du règlement européen dit CLP. La recherche de substitution est une obligation de l’employeur pour les substances reprotoxiques classées 1A ou 1B, c’est-à-dire une toxicité avérée ou présumée. Mais le lobbying des industriels peut aussi faire dérailler la démarche de prévention. Ainsi, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a proposé de classer trois sels de lithium jugés toxiques pour la fertilité et le développement fœtal. Le carbonate, le chlorure et l’hydroxyde de lithium sont notamment utilisés dans les batteries, mais aussi dans les industries du verre et de la construction. « Le processus règlementaire a été bloqué par l’industrie », indique Odile Kerkhof, chargée de projet à l’Anses. 
Le risque reprotoxique au travail pourrait être aussi imputable à d’autres contraintes. « Une étude américaine a montré une diminution de la réserve ovarienne chez les femmes exposées au port de charges lourdes, ajoute Ronan Garlantezec. D’autres recherches suggèrent une association entre travail de nuit et augmentation du risque d’endométriose. » Les troubles de l’ovulation, des réserves ovariennes basses et l’endométriose sont les trois causes principales d’infertilité.

Effets transgénérationnels suspectés

Autre point qui préoccupe les spécialistes : les effets induits par les reprotoxiques peuvent-ils se transmettre aux générations suivantes ? Ces produits chimiques toxiques entraîneraient alors des modifications épigénétiques, c’est-à-dire des changements dans l’activité des gènes sans modification de l’ADN, affectant les descendants des personnes exposées. Roger Léandri, professeur en biologie de la reproduction au CHU de Toulouse, souligne que plusieurs études chez l’animal ont documenté de tels effets transgénérationnels. Ainsi, les rats mâles descendant de rattes exposées au pesticide vinclozoline, à des plastifiants ou phtalates présentent des troubles des fonctions testiculaires et de la spermatogenèse, et ce aux troisième et quatrième générations. Pour les animaux femelles dont les arrière-grand-mères ont été exposées à ces mêmes produits, les chercheurs ont observé une diminution de la réserve ovarienne. « Nous ne disposons pas de démonstration formelle chez l’homme d’un effet comparable en raison des difficultés à prouver de telles expositions sur plusieurs générations », précise le spécialiste.

Repérer les expositions professionnelles 

En 2023, les cinq plateformes Prévenir, des consultations hospitalières de prévention en santé environnement dédiées à la reproduction, ont pris en charge un peu plus de 3 000 couples. Les personnes sont notamment interrogées sur leurs expositions professionnelles aux produits chimiques, leurs contraintes organisationnelles ou biomécaniques. « Nous pouvons leur donner quelques conseils, mais le plus important est d’être un relais pour les services de prévention et santé au travail », explique Fleur Delva, médecin de santé publique au CHU de Bordeaux à l’initiative de la première structure de ce type. Plusieurs plateformes Prévenir sont en cours de création à Rouen, Toulouse, Nantes ou Bordeaux, ce qui devrait permettre d’augmenter le nombre de personnes prises en charge. Fleur Delva va par ailleurs coordonner l’élaboration d’une nouvelle recommandation de la Société française de santé au travail sur les travailleurs et travailleuses exposés aux produits toxiques pour la reproduction. Le risque reprotoxique est un risque professionnel connu, mais encore faut-il qu’il ne soit pas occulté par les polluants de l’environnement. Comme pour nombre de substances, le cumul des expositions professionnelles et environnementales augmente les effets délétères de ces toxiques. 
 

 

 

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