Vers un retour des groupes d'expression ?
Instaurés dans le cadre des lois Auroux, le 4 août 1982, le droit d'expression directe et collective des salariés sur leurs conditions de travail et les groupes créés en entreprise pour le faire vivre ont été progressivement abandonnés.
Tout d'abord, en raison de leur incapacité à peser sur le cours des choses. Mis en place sans préparation, en l'absence de mobilisation et avec des syndicats affaiblis, ces groupes d'expression ont été animés le plus souvent par des chefs d'équipe formés pour amener les salariés à émettre des voeux " raisonnables ", afin d'obtenir des réponses favorables, et leurs revendications ont été instrumentalisées par les directions selon la logique des cercles de qualité.
Ils ont aussi disparu du fait de la menace qu'ils faisaient planer sur les collectifs informels de travail, qui vivent dans l'ombre et la clandestinité, en exposant certains aspects de leur modus vivendi et des règles tacites élaborées entre les salariés, au fil du temps, sur la base d'une expérience partagée. En étalant ces éléments sous l'oeil de la hiérarchie - ainsi que les dissensions qui pouvaient leur être liées -, les groupes se sont affaiblis eux-mêmes. Tombés en désuétude, dans l'indifférence, ils commencent pourtant à sortir de l'oubli. Nombre de syndicalistes proposent aujourd'hui de les remettre au goût du jour. Pourquoi ce revirement ?
Face à l'individualisation
La réponse est à rechercher du côté de l'individualisation systématique de la gestion des salariés qui a accompagné la modernisation des entreprises depuis le milieu des années 1970, en réponse notamment au coup de semonce qu'a représenté, pour le patronat français, la grande grève et les " événements " de 1968. Le travail s'est transformé. D'une expérience collective, il est devenu une épreuve solitaire, où chacun est confronté à de plus en plus d'exigences dans un contexte de mobilité et de changement généralisés, rendant la maîtrise du travail plus difficile, sans le soutien de collègues devenus concurrents ou obstacles.
Le retour des groupes correspondrait ainsi à la nécessité de recréer du collectif dans les entreprises, afin de mettre en débat les enjeux du travail et les moyens de les influencer. On mesure l'ampleur de la transformation subie. Délaissés en raison de leur faible impact mais surtout des menaces qu'ils faisaient peser sur les collectifs spontanés et informels de salariés, les groupes sont désormais perçus comme le moyen de réenclencher une dynamique dont on espère qu'elle débouchera sur des collectifs capables d'autonomie et d'action.