Retour sur la santé des gueules noires
Confrontés à de multiples risques et pathologies, les travailleurs des mines de charbon ont commencé par prendre en charge eux-mêmes leurs problèmes de santé, avant que le législateur ne s'en empare. Une histoire retracée par une exposition.
Poussières, manque de lumière, chaleur, bruit, travail de force, gestes répétitifs, postures pénibles, mais aussi menaces d'éboulement ou de "coup de grisou" (explosion de gaz)... Ce catalogue des risques auxquels ont été soumis les ouvriers exploitant les mines de charbon du bassin du Nord-Pas-de-Calais est largement évoqué dans "Houille... ouille, ouille", une exposition présentée au Centre historique minier (CHM) de Lewarde, dans le Nord (voir "Repère").
L'exposition évoque aussi les maladies professionnelles qui affectaient les mineurs de fond, au premier rang desquelles figurent les pathologies pulmonaires. "L'extraction du charbon et de la silice présents dans les veines entraîne un dégagement de poussières, explique Amy Benadiba, commissaire de l'exposition et directrice-conservatrice du CHM. Inhalées, les poussières de charbon sont responsables de l'anthracose, tandis que les particules de silice provoquent la silicose." Dans l'entre-deux guerres, l'empoussiérage, donc le risque de contracter une pneumoconiose, a été aggravé par la généralisation du marteau-piqueur pour l'abattage du charbon. Certains progrès techniques, tels que la pulvérisation d'eau sous forme de rideau autour des haveuses1 ou par un système d'arroseuses automatiques, ont permis de lutter contre la poussière, fléau des galeries.
Ces pathologies invalidantes pour les mineurs avaient également un impact sur leur entourage. "Quand un mineur est malade, cela touche toute sa famille, rappelle Amy Benadiba. Les épouses des mineurs silicosés jouent souvent le rôle d'infirmières auprès de leur mari ou de leur filsLeurs témoignages, présentés dans l'exposition, montrent aussi l'importance de la reconnaissance du taux de silicose, dont dépend le montant de la rente."
Outre les pathologies pulmonaires, les ouvriers du charbon souffraient également d'ankylostomiase ou "anémie du mineur" - affection parasitaire due à des vers -, de nystagmus - mouvement incontrôlé des yeux provoqué par le manque de lumière - ou encore de troubles musculo-squelettiques, engendrés par les gestes répétitifs et la pénibilité du travail (les mineurs étaient par exemple obligés de travailler couchés sur le dos dans les veines horizontales étroites). Aux maladies s'ajoutent les accidents, parfois mortels. En 1906, la terrible catastrophe de Courrières, la plus importante survenue en Europe, a provoqué la mort de 1 099 mineurs. Plus récemment, en 1974, la catastrophe de Liévin a fait 42 morts et huit blessés. C'est l'accident le plus meurtrier depuis Courrières.
Caisses de secours
Face à ces nombreuses atteintes à la santé, la prévention a commencé à être prise en compte par les différents acteurs du monde de la mine que sont l'Etat, les syndicats et les entreprises. "Le décret de 1813 a imposé aux compagnies minières de développer les soins. Mais cela ne s'est pas fait du jour au lendemain", souligne Amy Benadiba. A l'exception de la caisse créée en 1801 par la Compagnie d'Anzin, la plupart des sociétés ou caisses de secours sont apparues à partir de 1848 et sont d'origine ouvrière.
Dès les années 1860, la libéralisation progressive de la législation - droit de grève accordé en 1864, liberté syndicale en 1884 - a facilité l'émergence de mouvements revendicatifs. Le 30 novembre 1891, les mineurs parviennent ainsi à faire signer au patronat les "conventions d'Arras", qui constituent la première convention collective. Les compagnies minières reconnaissent l'existence des syndicats. Ceux-ci s'implantent solidement, notamment grâce à l'institution, en 1890, de délégués à la sécurité, élus directement par les mineurs de fond.
Dans la foulée, la loi sur les caisses de secours et de retraites des ouvriers mineurs est promulguée le 29 juin 1894. Elle réorganise complètement l'assurance contre les maladies et la vieillesse, en instaurant des caisses de secours et des caisses de retraite mixtes obligatoires, alimentées par des retenues sur le salaire des mineurs et par des cotisations sociales proportionnelles.
Le 9 avril 1898, au terme de dix-huit ans de discussions, est également votée la loi portant sur l'indemnisation des accidents du travail, qui touchent très fortement les mineurs. Présentée comme une loi expérimentale, elle pose déjà la question du risque professionnel. "Mais il faudra attendre 1945 pour que la silicose soit reconnue comme maladie professionnelle en France, après les Pays-Bas et la Grande-Bretagne", signale la commissaire de l'exposition. Cette même année, l'Etat institue la Sécurité sociale. L'industrie minière va, pour sa part, bénéficier d'un régime spécial grâce au décret du 27 novembre 1946. Trois types d'institutions sont alors mis en place : la Caisse autonome nationale de la Sécurité sociale dans les mines (CANSSM), qui gère les risques invalidité et vieillesse ainsi que les pensions de survivants ; les unions régionales, qui assurent la gestion des risques d'accidents du travail et les maladies professionnelles pour les incapacités permanentes ; enfin, les sociétés de secours minières, qui sont chargées du risque maladie, des allocations décès et du risque accident.
Infrastructures médicales
A la même époque, décrit Amy Benadiba, "les Houillères du bassin du Nord-Pas-de-Calais (HBNPC) créent des infrastructures médicales, réparties sur l'ensemble du bassin minier : hôpitaux, maternités, centres de traumatologie, centres médicaux, de réadaptation fonctionnelle, de soins aux brûlés. Elles prennent également des mesures de prévention, en formant les ouvriers à la sécurité et en imposant le port obligatoire d'équipements de protection : casque avec lampe, casque antibruit, masque antipoussière, gants et chaussures de sécurité". Les HBNPC lancent également des campagnes d'information pour sensibiliser les mineurs à l'importance du respect des consignes liées à l'hygiène et à la sécurité.
En 1948, Robert Lacoste, ministre de la Production industrielle, déclenche la colère des mineurs par ses décrets contre l'absentéisme, encadrant la réduction du personnel et la modification du régime social. Le durcissement de la discipline imposée par les Houillères et le rétablissement du chronométrage venant s'y ajouter, des grèves très dures éclatent alors pendant l'hiver. Le gouvernement envoie l'armée occuper les fosses et les cités minières.
Au début des années 1960, la fermeture des mines de charbon paraît inéluctable. La grève de 1963 est la dernière de l'histoire minière en France. Elle est massivement suivie par les mineurs, rejoints par les ingénieurs. Dans les années 1980, l'Etat met en place un dispositif de reconversion pour accompagner la fin de l'exploitation. La dernière berline de charbon est remontée à Oignies, le 21 décembre 1990. A partir de 2011, plusieurs décrets ont été publiés pour restructurer le régime spécial de la Sécurité sociale dans les mines, afin de l'intégrer au régime général. Celui du 3 septembre 2015 précise toutefois que "les droits des anciens mineurs seront préservés jusqu'au dernier affilié du régime".
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Machines d'abattage mécanique qui réalisent une saignée dans la roche.
Santé et travail à la mine. XIXe-XXIe siècle par Judith Rainhorn (dir.), Les Presses universitaires du Septentrion, 2014.
Les trois âges de la mine dans le Nord-Pas-de-Calais, par Virginie Debrabant et Gérald Dumont, La Voix Editions, 2010.