La retraite améliore la santé de tous !
Pour les salariés confrontés à des contraintes délétères au travail, mais aussi pour ceux qui y sont moins exposés, la retraite joue un rôle protecteur, améliorant leur santé. Le signe d’un mal-être au travail, qui devrait être pris en compte dans toute future réforme.
Le maintien en emploi à des âges avancés reste fortement lié à la santé. Or depuis une trentaine d’années, le travail se densifie, les rythmes s’accélèrent, l’autonomie se réduit. La pénibilité ne recule pas. Plus d’un tiers des salariés français estiment que le travail détériore leur santé, contre seulement 23 % en Europe. L’environnement social du travail (perception du management, aide et soutien des collègues, des managers, comportements sociaux, discrimination et climat social en général) constitue la contrainte la plus symptomatique. Cet environnement est particulièrement dégradé en France, qui occupe la dernière position des pays de l’Union européenne sur cet indicateur.
Bien que la retraite constitue un facteur de désinsertion sociale pour les personnes pleinement épanouies au travail, il est vraisemblable qu’elle « libère » celles qui sont confrontées à une qualité de vie au travail dégradée. Nous traitons ce sujet dans un article qui vise à analyser le rôle de la retraite sur la santé selon les expositions professionnelles.
A travail éprouvant, retraite salutaire
À partir de données de l’enquête Santé et itinéraire professionnel, nous reconstituons l’intégralité des expositions passées aux conditions de travail physiques (travail de nuit, répétitif, ou physiquement exigeant, exposition à des produits toxiques ou nocifs) et psychosociales (travail sous pression, tensions avec le public, reconnaissance ou non du travail à sa juste valeur, emploi des compétences, conciliation entre travail et obligations familiales, relations de travail avec les collègues) pour chaque année de vie professionnelle. Nous mettons en place une stratégie économétrique mixte permettant d’établir l’impact spécifique des conditions de travail passées et de la retraite sur la santé physique et mentale, toutes choses égales par ailleurs.
Comme attendu, le rôle protecteur de la retraite est très prononcé parmi les personnes dont le travail a été éprouvant. Pour les personnes confrontées à des contraintes physiques, la retraite améliore principalement la santé générale, tandis que pour les personnes ayant subi des contraintes psychosociales, elle diminue plus sensiblement l’anxiété et la dépression. En particulier, les effets bénéfiques les plus visibles de la retraite sont observés dans la population masculine non diplômée et exposée à des contraintes physiques.
La retraite améliore également la santé perçue des personnes peu ou pas exposées aux facteurs de risques physiques ou psychosociaux mais elle n’agit pas sur leurs limitations d’activité ni sur leurs maladies chroniques. En outre, elle réduit leur niveau de dépression et d’anxiété. Enfin, l’effet positif de la retraite sur la santé ne résorbe pas complètement l'effet néfaste des conditions de travail passées sur la santé (en particulier la santé perçue).
Une logique réparatrice limitée
Ces résultats interrogent les modalités de compensation et l’approche quasi-exclusivement réparatrice des conséquences délétères de la pénibilité du travail. À défaut de conduire des politiques de prévention, divers mécanismes ciblés de réparation ont été introduits depuis le début des années 2000. Certains reconnaissent la spécificité des carrières longues débutées précocement et souvent éprouvantes. D’autres visent à directement mesurer l’exposition à certaines contraintes physiques du travail, afin de justifier une dérogation à l’âge légal de la retraite (compte personnel de prévention).
Ces dispositifs apparaissent limités au moins à deux titres. Tout d’abord, les écarts d’espérance de vie liés aux différences d’expositions aux conditions de travail pénibles ne sont que partiellement compensés. Le compte pénibilité ne permet, par exemple, d’anticiper le départ à la retraite au maximum que de deux années. Or, à l’âge de 62 ans, les bénéficiaires de pensions d’inaptitude au travail peuvent espérer vivre près de cinq années de moins que les retraités du régime général. Ensuite, les risques psychosociaux au travail ne sont pas pris en compte, alors même qu’ils dégradent fortement la santé mentale mais aussi physique en France.
Pour une prévention tout au long de la vie professionnelle
Le fait que la retraite améliore la santé de tous est sans doute le révélateur d’un mal-être au travail généralisé parmi les seniors français. Le maintien en bonne santé au travail exige alors de mener des politiques de santé systémiques plus ambitieuses, agissant sur l’ensemble du cycle de vie (politique de formation, de l’emploi, de prévention et de santé au travail ainsi que de protection des personnes exclues du marché du travail), pour sortir d’une politique de soins stricto sensu ou de compensation ex post. Elles doivent répondre à l’insatisfaction singulière des salariés français en termes de risques psychosociaux, de sentiment de perte d’autonomie et plus fondamentalement de perte de sens au travail.
Il est certain qu’un recul de l’âge de la retraite, sans nouvelles mesures de prévention au travail ou de compensations, conduirait sans aucun doute à une fragilisation accrue de la santé des seniors les plus vulnérables.
« Le travail c’est la santé… mais la retraite ? », par Thomas Barnay et Eric Defebvre, The Conversation, 2 janvier 2022.