© Adobe Stock
© Adobe Stock

Retraites et pénibilité : les syndicats en ordre de bataille

par Sabine Germain / 22 octobre 2024

Si les confédérations syndicales demandent la suspension de la réforme des retraites, elles ont peaufiné leur feuille de route afin d’améliorer la prise en compte de la pénibilité et aménager les fins de carrière. Un front commun mais des analyses différentes.

En réponse au Premier ministre qui, dans son discours de politique générale du 1er octobre s’est dit ouvert à des «  aménagements raisonnables et justes » sur la réforme des retraites de 2023, les organisations syndicales ont fixé leur feuille de route en vue de négociations paritaires sur la santé au travail, en particulier des salariés vieillissants. « Nous avons senti un véritable esprit de dialogue de la part du Premier ministre ainsi qu’une certaine sensibilité aux questions de travail du côté d’Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du Travail et de l’emploi, observe Isabelle Mercier, secrétaire nationale de la CFDT en charge notamment de la santé au travail. C’est déjà un vrai changement ! » « Après des années de mépris de la démocratie sociale et de reprise en main par l’État des institutions gérées par le paritarisme, le Premier ministre reconnaît le rôle des interlocuteurs sociaux dans les champs qui concernent les travailleurs », confirme Frédéric Souillot, secrétaire général de FO. Sentiment partagé par Pascale Coton, vice-présidente de la CFTC en charge des retraites, mais avec un sérieux bémol : « Michel Barnier est réellement à l’écoute. Il est prêt à travailler avec nous sur les fins de carrière, mais sans aucune enveloppe financière. Je n’y vois donc que des déclarations d’intention. »

Front intersyndical 

Pour mettre la pression sur ce nouveau gouvernement, les cinq organisations représentatives de salariés se sont fendues, dès le 7 octobre, d’un communiqué commun réaffirmant leur opposition au recul de deux ans de l’âge légal de départ à la retraite : « 64 ans, c’est toujours non ! Il faut suspendre l’application de cette réforme pour pouvoir traiter sérieusement les questions d’égalité femmes/hommes, de pénibilité, d’emploi des séniors, de carrières longues… » Une façon de montrer que le front intersyndical perdure, même si les analyses et les propositions des organisations diffèrent. Face à la réforme des retraites, chacune a sa propre feuille de route. 
Le sujet central reste la prise en compte de la pénibilité, un terme que Pascale Coton préfère à celui d’usure professionnelle, qui a été imposé dans le débat en 2023 : « Parler d’usure professionnelle, c’est n’envisager ce sujet que sous l’angle de la compensation ou de la réparation. Mais c’est avant la survenue de l’usure qu’il faut agir, pour préserver la santé des travailleurs exposés aux facteurs de pénibilité et pour soulager les finances publiques. Car les départs anticipés pèsent aussi sur les comptes de l’assurance-maladie, de l’assurance-chômage et de l’assurance-retraite. » Comme toutes les autres organisations syndicales, la CFTC réclame la réintégration des quatre facteurs qui ont été éliminés du Compte professionnel de prévention (C2P) en 2018 : les manutentions manuelles, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et l'exposition aux agents chimiques. Elle plaide également pour une fusion des deux fonds de prévention, celui relatif à l’usure professionnelle (Fipu) et celui concernant les accidents du travail et maladies professionnelles (FNPAT). « Le Fipu a trop peu activité, estime Pascale Coton. En avoir un seul serait sans doute plus efficace. »

Aménagements de fin de carrière

La CGT ne se contente pas d’appeler à l’abandon de la réforme des retraites de 2023. Elle va bien au-delà en demandant le retour à la retraite à 60 ans, des possibilités de départs anticipés à partir de 55 ans (notamment pour les métiers féminisés), un élargissement du dispositif sur les « carrières longues », le rétablissement du calcul de la pension sur les 10 meilleures années de salaire… Dans l’immédiat, la confédération réclame l’organisation d’une conférence tripartite de financement du « rétablissement de la retraite à 62 ans ».
La CFE-CGC préfère quant à elle se focaliser sur la question de l’emploi des seniors et la gestion des carrières longues. Considérant que la négociation « pacte de la vie au travail » a été, selon les termes de son président François Hommeril, « torpillée par le gouvernement et le patronat », le syndicat de cadres se dit prêt à « négocier les brèches qui ont été ouvertes » par le Premier ministre. Il porte un éventail de mesures visant trois objectifs : prévenir l’usure professionnelle par le renforcement du suivi médical, la reconnaissance des risques psychosociaux (RPS) comme facteurs de pénibilité, le développement des négociations sur la qualité de vie et des conditions de travail ; favoriser l’emploi des seniors en incitant les entreprises à négocier des aménagements de fin de carrière (télétravail, congés ou RTT supplémentaires, semaine de 4 jours) ; développer les modes de transitions par à un droit à la retraite progressive opposable… 

COP Travail 

La CFDT plaide quant à elle pour l’organisation d’une « COP Travail » dès le début de l’année prochaine. Cette « Conférence des parties » permettrait de faire un tour d’horizon des sujets de santé, sécurité, conditions de travail et qualité de vie au travail, qui seront « sans doute peu abordées dans les négociations sur l’emploi des seniors et l’assurance-chômage » devant aboutir mi-novembre, regrette Isabelle Mercier. La confédération souhaite que la question du travail et de sa soutenabilité revienne au cœur de toutes les réflexions, au plan interprofessionnel, mais aussi dans les entreprises. « Les nouvelles instances de représentation, notamment le CSE (Comité social et économique) s’intéressent davantage aux questions économiques et stratégiques, au détriment des CSSCT (Commissions de santé, sécurité et conditions de travail), dont la place n’est pas suffisante », précise la secrétaire nationale. 
Isabelle Mercier est par ailleurs attentive à la façon dont le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2025) va intégrer l’accord national interprofessionnel (ANI) du 15 mai 2023. Cette réforme attendue de la réparation pour les victimes d’accidents du travail et maladies professionnelles pourrait améliorer l’indemnisation, sous certaines conditions. « Nous aurons trois points de vigilance, détaille-t-elle : le mode d’indemnisation du déficit fonctionnel permanent, qui ne doit pas être forfaitisé sans tenir compte de l’âge ; l’évaluation globale de l’incapacité, intégrant aussi bien les lésions que les souffrances et les douleurs endurées ; les modalités d’indemnisation de la faute inexcusable de l’employeur (avec une majoration de l’indemnisation et non de la rente). »

Déterminés mais lucides

Toujours déterminées à combattre une réforme des retraites déconnectée de la réalité du travail, les organisations syndicales restent toutefois lucides : après avoir fait capoter la négociation sur l’emploi des seniors au printemps dernier, les organisations patronales risquent de se raidir encore davantage avec la remise en question de certaines exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires.

A LIRE AUSSI