Les retraites pour inaptitude sortent de l’ombre
17 % des salariés partent en retraite au titre de l’inaptitude. Un dispositif renseigné par un récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Ce chiffre devrait progresser avec la prochaine réforme des retraites, d'autant que de nombreux cas éligibles passent sous les radars.
Voilà un rapport éclairant qui tombe à point nommé, alors que le gouvernement a annoncé mardi 10 janvier les contours de sa réforme des retraites, actant le passage de l’ouverture des droits de 62 à 64 ans. L’Inspection générale des affaires sociales (Igas) s’est penchée sur un dispositif créé avant 1945 et important pour toutes les personnes handicapées ou dont l’état de santé est trop altéré pour qu’elles puissent continuer à travailler : les départs en retraite au titre de l’inaptitude – intitulé du document daté d’octobre 2022. Il permet aux intéressés de partir à l’âge légal à taux plein (au prorata de leurs trimestres validés), même s’ils n’ont pas cotisé suffisamment longtemps, et de toucher le minimum vieillesse et le minimum contributif.
Comme le soulignent en préambule les auteurs, les pensionnés pour inaptitude sont loin d’être marginaux, puisqu’ils représentaient 17 % des départs au sein du régime général en 2019. Ce sont « majoritairement des femmes (58 %) des secteurs de la santé et de l’administration publique », les hommes ayant eux davantage travaillé dans l’industrie ou la construction.
Davantage de bénéficiaires
Peuvent prétendre à ce dispositif, à 62 ans, plusieurs catégories de personnes : les bénéficiaires d’une pension d’invalidité, celles qui perçoivent l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et celles auxquelles les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ont reconnu un taux d’incapacité de 50 % ; s’y ajoute un 4e groupe qui doit « démontrer l’inaptitude », en faisant une demande de reconnaissance auprès de l’Assurance maladie. Le rapport constate que, lors de cette procédure médicale, les taux d’avis favorables donnés par les médecins-conseils de la Sécu sont élevés : près de 89 % en 2021. Un chiffre en augmentation sur la dernière décennie. Et pour une raison simple : la dégradation de l’état de santé, « en raison de la croissance de l’âge moyen des demandeurs, qui est passé sous l’effet de la réforme des retraites de 2010 de 60 à 62 ans ».
Précisons que ce système se distingue d’autres dispositions spécifiques : retraite pour incapacité permanente à partir de 60 ans pour les victimes de maladie professionnelle ou d’accidents du travail, fruit de la réforme de 2010 ; départ anticipé pour carrière longue acté par la réforme de 2003 ; allocation de cessation anticipée d’activité pour les travailleurs de l’amiante (Acaata) ; points cumulés dans le compte professionnel de prévention (C2P) pour cause d’exposition à des pénibilités. « Ces dispositifs proches et visant des publics voisins n’a pas facilité l’appropriation de ce mécanisme, laquelle est extrêmement faible en dépit de son caractère ancien et massif », relèvent les rapporteurs.
Des trous dans la raquette
Les 15 % de retraités pour inaptitude (sur l’ensemble des salariés en retraite) seraient donc la partie émergée de l’iceberg, tant la complexité des législations (au carrefour du handicap, de la vieillesse, de la santé au travail) et le nombre d’organismes administratifs impliqués – les quatre branches de la Sécu, les MDPH, Pôle emploi, les services de prévention et de santé au travail – peuvent perdre les personnes possiblement concernées.
En outre, la mission a constaté plusieurs « trous dans la raquette » : par exemple, dans la procédure médicale, les « médecins du travail remplissent très rarement voire exceptionnellement le formulaire CERFA, ce qui conduit les médecins-conseils à se prononcer en l’absence de leurs renseignements ». Les échanges entre les caisses s’avèrent problématiques. Certaines personnes manquent de justificatifs pour appuyer leur dossier.
A partir de ces constats, le rapport formule plusieurs recommandations, dont la première plaide pour le « maintien d’un dispositif favorable et spécifique de départ en retraite pour inaptitude, justifié par l’état de santé et l’espérance de vie des assurés concernés », laquelle est de quatre à six ans inférieure à celle des autres retraités. Et de préciser qu’en cas d’augmentation de l’âge d’ouverture des droits, une réflexion sur l’évolution de la nature des avantages offerts « sera nécessairement à conduire ».
Le dispositif demeurant assez méconnu des potentiels bénéficiaires, les auteurs invitent à proposer une information ciblée, avant 62 ans, auprès de certains publics. Et, en particulier, les personnes dont une maladie professionnelle ou un accident du travail ayant entraîné une incapacité permanente a été reconnue ; la mission estime par ailleurs « souhaitable de dresser une équivalence » entre les rentes pour incapacité qui diffèrent selon qu’elles sont issues de la législation sur le handicap ou celle sur les accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP).
Information ciblée vers certains publics
Autres personnes devant faire l’objet d’une communication dédiée : les demandeurs d’emploi ou allocataires du RSA qui rencontrent des difficultés de santé, pour autant qu’elles soient connues. « Par exemple, en cas de licenciement pour inaptitude – au sens du Code du travail », explicitent les auteurs. Voilà qui devrait, avec une simplification des démarches et un pilotage plus centralisé du dispositif, permettre à davantage de Français d’accéder à ce droit fondamental. Nul doute qu’à l’heure où l’exécutif décide reculer l’âge légal du départ, ils seront encore plus nombreux à grossir les rangs des pensionnés pour inaptitude, même si le projet du gouvernement prévoit de maintenir l’âge de départ à 62 ans pour cette catégorie.