Révision de la directive cancers : peut mieux faire !
La Commission européenne a présenté en mai ses propositions de révision de la directive sur la prévention des cancers professionnels. Une avancée bien timide au regard des connaissances scientifiques et des réglementations de certains pays.
C'est un pas en avant pour la protection de la santé des travailleurs en Europe, mais il est loin d'être suffisant, alors que chaque année les cancers liés au travail tuent 100 000 personnes dans l'Union. La Commission européenne a présenté le 13 mai ses propositions pour amender la directive de 2004 sur la prévention des cancers professionnels.
Les valeurs limites, "outils de prévention"
Celle-ci avait défini des valeurs limites contraignantes d'exposition professionnelle (VLEP) pour trois substances : le benzène, le chlorure de vinyle et les poussières de bois dur. La Commission propose que ces limites soient abaissées pour les deux dernières et que dix agents cancérogènes ou mutagènes soient ajoutés à la liste.
Une liste que devraient venir compléter douze autres substances d'ici à la fin de l'année. "Actuellement, près de 20 millions de travailleurs sont exposés à au moins un de ces treize produits, rappelle Marianne Thyssen, commissaire européenne à l'Emploi. Par exemple, la silice cristalline respirable est une cause importante du cancer du poumon ; notre proposition va faire une différence pour les travailleurs exposés à cette poussière, particulièrement dans le secteur de la construction, qui représente environ 70 % des personnes concernées. Cette avancée va permettre de sauver d'une mort précoce 100 000 personnes dans les cinquante prochaines années."
Soit la prévention de... 2 000 décès par an, seulement. Pour Karima Delli, députée européenne (Europe écologie-Les Verts) et auteure d'un rapport sur la stratégie 2007-2012 pour la santé-sécurité au travail, c'est trop peu : "Non seulement la liste est très restrictive, mais les valeurs limites proposées ne sont pas ambitieuses : elles ne protégeront pas suffisamment les travailleurs des agents toxiques."
La question se pose notamment pour la silice cristalline ou le chrome VI. Pour la première, la révision de la directive indique une valeur limite de 100 microgrammes par mètre cube (µg/m3), alors que certains Etats membres comme le Danemark, la Finlande et l'Espagne imposent déjà une limite à 50 µg/m3, comme c'est également le cas aux Etats-Unis depuis 2015. Or ce sont près de 5 millions de travailleurs qui sont exposés à cette substance.
Concernant le chrome VI, explique Laurent Vogel, chercheur à l'Institut syndical européen (Etui), "la valeur limite proposée est de 25 µg/m3, ce qui est très élevé, quand on sait qu'en France le seuil est fixé à 1 µg/m3. La législation européenne édicte des règles minimales, mais dans la pratique elles deviennent la norme et n'incitent pas les pays membres à aller plus loin. Les valeurs limites sont des outils de prévention : plus elles sont basses, plus les entreprises sont poussées à remplacer les produits toxiques par d'autres qui ne le sont pas."
Etendre le champ aux reprotoxiques
Les propositions de la Commission semblent aussi en retrait par rapport aux souhaits formulés par la présidence néerlandaise de l'Union, déterminée à faire reculer les cancers professionnels en dotant d'une valeur limite 50 substances prioritaires. De son côté, la Confédération européenne des syndicats a établi une liste de 71 produits pour lesquels elle juge nécessaire la création d'une VLEP, comme les poussières de cuir, les formaldéhydes, le cadmium...
Le texte de la Commission devrait être mis à l'ordre du jour du Parlement européen à l'automne. "Il est nécessaire d'étendre le champ de la révision à bien d'autres produits, et notamment les reprotoxiques, qui doivent être au coeur de cette directive, défend Karima Delli. Les valeurs limites devraient être alignées sur les meilleures pratiques des Etats membres. Enfin, il faudra veiller à ce que les substances visées ne concernent pas essentiellement des métiers d'hommes."