Risque cancérogène : des pompiers déposent plainte
Alors que leur exposition professionnelle est pourtant reconnue comme cancérogène, les pompiers dénoncent les manquements en matière de prévention et de réparation. La CGT vient de déposer une plainte contre X pour mise en danger de la vie d’autrui.
Ce 1er décembre, le collectif CGT des services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), avec la Fédération CGT des services publics, a déposé plainte pour mise en danger de la vie d’autrui auprès du Pôle de santé publique du Tribunal de Paris. Les soldats du feu dénoncent un défaut de prévention de leur autorité de tutelle et de leurs employeurs, alors même qu’en 2022, leur exposition professionnelle a été classée cancérogène par le Centre international de recherche contre le cancer (Circ). « Depuis la publication de l’avis du Circ, qui établit un lien de causalité entre au moins deux maladies – le mésothéliome ou cancer de la plèvre dû à l’amiante et le cancer de la vessie – et l’exposition aux fumées d’incendies, aux produits de combustion des mousses anti-incendie, aux retardateurs de flamme (PFAS), aux émanations de matériaux de construction comme l’amiante ou le formaldéhyde…, rien de probant ne s’est passé pour la prévention, la protection ou la réparation, déplore Sébastien Delavoux, animateur du collectif CGT des Sdis. Les tableaux de maladies professionnelles n’ont même pas été modifiés pour faire figurer l’activité de pompier. On n’a plus d’autre choix que de missionner un juge d’instruction ! »
Risques occultés malgré les alertes
Plus globalement, la plainte déposée par l’avocat Philippe De Castro du cabinet TTLA fait état de vingt années d’incurie de la direction générale de la Sécurité civile et des Sdis. Les études se sont accumulées, à l’étranger notamment, sur les risques élevés pour les soldats du feu de développer des pathologies chroniques. Elles ont conduit nombre de pays comme l’Australie, les Etats-Unis ou le Canada, à reconnaître des cancers en maladies professionnelles. « En France les conditions de travail des pompiers et leur santé physique et mentale restent le cadet des soucis des employeurs ! », affirme le syndicaliste.
La plainte énumère les alertes qui se sont succédé depuis vingt ans. Ainsi, en 2003, le rapport de Christian Pourny, chef de l’Inspection de la sécurité civile, déplorait déjà l’absence de données fiables sur les accidents de travail et maladies professionnelles des pompiers et recommandait la mise en place d’un suivi épidémiologique. Depuis, rien n’a été entrepris, même si, en 2018, le ministère de l’Intérieur avait de nouveau promis une étude en ce sens. En 2019, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) soulignait à nouveau l’absence d’études épidémiologiques et préconisait la mise en place d’une base de données pour le suivi médical et la traçabilité des expositions. Cela n’a jamais été mis en œuvre.
Une surmortalité par cancers
En 2012, une étude de l’Institut national de veille sanitaire, aujourd’hui Santé publique France, avait souligné l’impact sur la santé des 240 000 pompiers français, professionnels et volontaires, de l’exposition au feu. Si une sous-mortalité était observée dans les tranches d’âges les plus jeunes, explicable par la forte sélection à l’embauche sur la forme physique et l’hygiène de vie, la mortalité devenait comparable à celle de la population générale dans les âges plus élevés, avec un « excès » de cancers. Cinq ans plus tard, en 2017, un rapport de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) mettait en évidence la surmortalité par cancers (poumon, cavité buccale, foie, voies biliaires, pancréas, tissus lymphatiques) provoquée par l’exposition chronique aux fumées d’incendies. Ce rapport formulait par ailleurs 43 préconisations pour améliorer la prévention et alertait sur les insuffisances des tenues de feu : elles laissaient pénétrer dans l’organisme, notamment par voie cutanée et par inhalation, poussières et particules fines.
La direction générale de la Sécurité civile avait alors réagi en promettant une enquête de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), qui ne s‘est pas faite, et en adressant une note d’information et un guide des bonnes doctrines à tous les Sdis en 2018. « Mais ce n’est que du droit souple dont l’application reste à l’appréciation des directions des Sdis, qui sont des établissements indépendants », regrette Sébastien Delavoux.
Absence de suivi d’exposition
Dans les faits, les préconisations de la CNRACL ont été peu suivies d’effets. « A l’exception de quelques Sdis exemplaires, on attend toujours les fiches individuelles de suivi d’exposition. Il était recommandé de retirer tenue et chaussures après chaque intervention, d’en changer, d’équiper les camions de douches mobiles pour pouvoir se nettoyer sur place. Cela se fait en Belgique, mais toujours pas chez nous ! indique-t-il. Nombre de pompiers rapportent encore leurs tenues souillées à la maison pour les laver ! »
Alors que la CNRACL préconisait d’intégrer dès la conception des locaux et du matériel les risques de contamination, rares sont les centres où des sens de circulation ont été aménagés, avec des filières « propre » et « souillée », et avec une décontamination systématique et adéquate, notamment pour l’amiante. « Or des feux d’amiante, il y en a tous les jours, entre les cabanons de jardin, les hangars agricoles, les garages… », pointe le représentant du collectif GCT. La CNRACL recommandait également de privilégier les couleurs claires pour les tenues afin de visualiser correctement le niveau de salissure et d’y remédier, mais la grande majorité des Sdis sont restées fidèle au noir ou au bleu marine.
En déposant cette plainte, la CGT espère rappeler les employeurs à leurs obligations : veiller à la santé et à la sécurité des pompiers par des actions de prévention et d’information, et évaluer les risques professionnels de chaque poste de travail.