Risque chimique : repérer tous les produits CMR
Les acteurs de prévention doivent adopter la même politique face à des substances cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR), que celles-ci soient classées en catégorie 1, 2 ou 3. Il faut assurer leur repérage et tenter de supprimer les expositions.
Ces quinze dernières années, un cadre réglementaire s'est progressivement mis en place concernant la prévention des risques CMR, c'est-à-dire les risques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction. Il est essentiel que les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) s'en saisissent et identifient les expositions possibles des salariés à ces risques pas toujours perceptibles. D'autant que de nombreux travailleurs ou professionnels ont des idées reçues sur le sujet. Ainsi, pour beaucoup d'entre eux, l'absence de substances CMR dans l'air signifie l'absence de risque. Or, dans de très nombreuses situations, c'est par la peau que les substances CMR vont pénétrer l'organisme. Un phénomène parfois renforcé quand la peau est fragilisée par d'autres substances, tels les solvants ! Vigilance, donc.
Preuve différée
Les substances ou préparations contenant des CMR ont été divisées par la réglementation en deux grands groupes. Le premier rassemble les produits classés CMR en catégorie 1 ou 2 par l'Union européenne, soit ceux ayant un effet avéré ou fortement présumé sur l'homme. Le deuxième regroupe les CMR de catégorie 3, préoccupants en raison d'un effet possible sur l'homme, les informations disponibles étant insuffisantes pour les classer en catégorie 2. La réglementation a cru bon de déployer davantage de mesures de prévention pour les CMR 1 et 2 que pour les CMR 3. La plupart des personnes en déduisent que les premiers sont plus dangereux que les seconds. C'est une erreur.
Tout d'abord, les catégories CMR correspondent à des niveaux de preuve à un moment donné pour des effets déjà mesurés sur l'homme. Or l'effet cancérogène sur l'homme d'une substance ne se mesure en général qu'au bout d'une quinzaine d'années après l'exposition initiale. Et la mise en évidence de cet effet cancérogène n'est possible que si un nombre important de travailleurs a été exposé à la substance, en pouvant isoler cette exposition. Des conditions rarement remplies pour de nombreux cancérogènes de catégorie 3, souvent noyés dans une " soupe " de polluants professionnels.
Il est habituel que des CMR 3, suite à l'acquisition de nouvelles connaissances, soient reclassifiés en CMR 2. Il est également possible que la puissance du risque cancérogène d'une substance de catégorie 3, c'est-à-dire le nombre de cancers supplémentaires qui lui sont imputables, s'avère dans vingt ans plus importante que pour une substance classée en catégorie 2 aujourd'hui. Il est aussi médicalement irresponsable d'autoriser aujourd'hui l'exposition d'une femme enceinte à un reprotoxique de catégorie 3. Il ne s'agit pas ici d'appliquer un quelconque principe de précaution vis-à-vis d'un risque inconnu, mais bien de faire respecter le principe de prévention, sur la base de connaissances scientifiques, même si celles-ci s'avèrent encore lacunaires concernant les effets sur l'homme.
Il existe enfin des situations d'exposition mal prises en compte par la réglementation, lorsqu'un CMR 3 se transforme en CMR 2 une fois dans l'organisme. C'est le cas, par exemple, du diisocyanate de diphénylméthane (MDI), un CMR 3 qui se transforme dans l'organisme en 4,4'-méthylènedianiline (MDA), cancérogène de catégorie 2. Il est possible de considérer ce type de situation comme relevant de la réglementation des CMR 1 et 2, si le médecin du travail veille à mettre en évidence la présence de MDA dans les urines des personnes exposées.
Le repérage des CMR 3 est donc tout aussi important pour la prévention que celui des CMR 1 et 2, même s'il s'avère plus difficile. Les substances et préparations CMR 3 ne portent qu'un symbole Xn (nocif), moins explicite que le symbole T (toxique) prévu pour les CMR 1 et 2. Les phrases de risque R40 et R68, figurant sur les étiquettes des cancérogènes et mutagènes de catégorie 3, indiquent la possibilité d'" effets irréversibles " sans en spécifier la nature, contrairement aux phrases de risque plus précises prévues pour les CMR 1 et 2 (R45 et R49 pour les cancérogènes, R46 pour les mutagènes, R60 et R61 pour les reprotoxiques).
Il n'y a pas de risque faible
En conclusion, il faut toujours savoir pour quel risque une préparation dangereuse est étiquetée " Xn " (nocif). S'agit-il d'un produit CMR 3 ou d'une autre catégorie d'agents chimiques dangereux (ACD) ? Pour cela, il faut lire en détail la fiche de données de sécurité (FDS) fournie par le fabricant. Attention : l'Union européenne édite régulièrement de nouvelles listes de CMR. Et il faut un à deux ans pour que ces données soient prises en compte dans les FDS. D'où l'importance de vérifier la date de rédaction des fiches de données de sécurité et de refuser d'employer des préparations, même antérieurement connues dans l'entreprise, pour lesquelles les fiches datent de plus de deux ans. A cette étape, le document unique d'évaluation des risques, communiqué au CHSCT, et la fiche d'entreprise du médecin du travail sont des outils fondamentaux, tant il est parfois difficile aux non-initiés de " faire parler les FDS " !
Du point de vue des règles de prévention, les CMR 3 se voient appliquer celles communes à tous les agents chimiques dangereux, moins protectrices que celles relatives aux CMR 1 et 2 (art. R. 4412-59 à R. 4412-93 du Code du travail). Si la démarche d'évaluation des risques s'impose préalablement à l'exposition (art. R. 4412-11 à R. 4412-58), l'employeur peut y déroger s'il peut prouver l'absence totale d'exposition des travailleurs ou s'il conclut à un " risque faible " en application de l'article R. 4412-13. Il peut être tenté de le faire si la substance CMR 3 est présente en faibles quantités au poste de travail ou si des mesures de prévention ont été mises en place pour réduire le risque à un niveau minimum. Pourtant, le potentiel toxique des cancérogènes n'a pas de seuil. Il est donc impossible de conclure à un " risque faible " les concernant.
Dans le cas où l'évaluation des risques ne conclut pas à un risque faible, les mesures générales de prévention s'imposent : suppression de la substance, sinon substitution, ou à défaut réduction du risque à la source. L'employeur doit ainsi réduire au maximum les quantités de CMR 3 présentes sur le lieu de travail, le nombre de travailleurs susceptibles d'être exposés, la durée et l'intensité des expositions. Du fait des effets différés et potentiellement invisibles des CMR, l'information et la formation des salariés font partie des éléments majeurs de la prévention. La traçabilité des expositions par les médecins du travail (liste des travailleurs exposés, rédaction d'une fiche d'exposition et de l'attestation prévue par la loi) et une surveillance médicale renforcée, avec des examens médicaux renouvelés au moins annuellement, sont de droit. Le suivi des valeurs limites d'exposition professionnelle et d'éventuelles valeurs limites réglementaires est aussi essentiel, comme celui d'indicateurs biologiques d'exposition, surtout s'il existe une valeur limite biologique. Autant d'éléments sur lesquels les CHSCT devront exercer un contrôle.
Divers textes réglementaires ont permis de préciser les règles de prévention applicables aux substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques : les décrets n° 2001-97 du 1er février 2001 et n° 2003-1254 du 23 décembre 2003, la circulaire de la direction des Relations du travail (DRT) n° 12 du 24 mai 2006.
La liste des substances classées cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques par l'Union européenne est disponible sur http://ecb.jrc.ec.europa.eu/classification-labelling/, en cliquant sur " Table 3.2 ".