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Risque grave : l’expert peut entendre les salariés sans l’avis de l’employeur

par Françoise Champeaux / 01 octobre 2024

Pour auditionner des salariés dans le cadre d’une expertise pour risque grave, seul l’assentiment de ces derniers est nécessaire, juge la Cour de cassation.

L’expert missionné par le comité social et économique (CSE) en raison d’un risque grave constaté dans l’établissement est en droit de procéder à l’audition des salariés, sans que l’employeur ne puisse s’y opposer. C’est ce qu’il ressort de l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation livré le 10 juillet 2024. 
Et pourtant, un an plus tôt, la même chambre sociale affirmait, dans une décision du 28 juin 2023, que l'expert-comptable, désigné par le CSE dans le cadre de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise ne pouvait auditionner les salariés qu'à la condition d'obtenir l'accord exprès de l'employeur et des salariés concernés. Cette solution devait-elle être étendue à l’expertise pour risque grave ? On connaît aujourd’hui la réponse. C’est non. L’expert peut se passer du quitus de l’employeur. A condition toutefois que les auditions soient « utiles » à l’exercice de sa mission et qu’elles aient recueilli l’assentiment des salariés. 
Ces positions distinctes s’expliquent par la finalité des missions. Dans un cas, la politique sociale de l’entreprise, dans l’autre, un risque grave identifié par le CSE. D’un côté un expert-comptable pour la consultation sur la politique sociale, de l’autre, un expert habilité pour le risque grave. 
L’affaire en question était propice à la tenue d’entretiens avec les salariés :  l’expertise diligentée par le CSE portait en effet sur le service de ressources humaines d’un hôpital. Risques psycho-sociaux et physiques, souffrance au travail étaient mis en évidence par de multiples faits, selon les juges, qui rappellent que plusieurs alertes n’y ont pas mis fin. 

Contestation systématique

De son côté, l’employeur reprochait à l’expert les 70 entretiens avec les membres du personnel, soit 105 heures ou 13,5 jours de travail, alors que le service des ressources humaines ne compte que 41 salariés. En réalité, c’est le coût de l’expertise jugé excessif qui est dans le viseur de l’employeur en charge de payer les frais d’expertise. « Une fois que l'expertise est validée, la saisine du juge en contestation du coût de l'expertise est désormais systématique », constate Savine Bernard, avocate associée au cabinet 1948 Avocats : « Via la contestation du coût de l’expertise les employeurs contestent son périmètre, le nombre de jours, d’entretiens... C’est une véritable stratégie qui s’opère et conduit in fine à remettre en cause la méthodologie de l’expert. » Se joue aussi au travers du refus des auditions une instrumentalisation de la vie privée des salariés pour empêcher l’accès à l’information du CSE, déplore l’avocate.
La Cour de cassation affirme que l’intégralité des auditions étaient nécessaires. Mieux, la situation « imposait » - le mot est fort - que « l'ensemble de la chaîne hiérarchique et organisationnelle », y compris « les six agents ayant récemment quitté ces services, puissent être entendus avec leur accord ». 

Compréhension du travail réel

Dans son avis, l’avocate générale, Sylvaine Laulom, synthétise l’argumentation retenue. « Conditionner la tenue des entretiens à l’accord express de l’employeur serait de nature à remettre en cause le principe même de l’expertise ». Experte en santé travail au cabinet Apteis, Annabelle Chassagnieux, approuve cette décision qui s’inscrit dans un contexte défavorable pour les expertises en santé au travail dû aux ordonnances dites Macron de 2017. 
Depuis ces textes, les expertises sont plus difficiles à mettre en œuvre, particulièrement celles relatives au « risque grave ». « Entre 2018 et 2022, on est passé de 1 396 expertises santé au travail par an à 969 réalisées par des cabinets habilités », relève l’experte. L’arrêt est donc très positif en ce qu’il réaffirme le rôle du CSE et de son expert dans la prévention des risques professionnels. » A cet égard, les auditions sont fondamentales : « Ce sont elles qui permettent d’accéder à la compréhension du travail réel en recueillant la parole des salariés qui doivent pouvoir s’exprimer librement sur leurs conditions de travail ». L’employeur ne saurait s’y opposer. 

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