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« Risques ergonomiques » : une appellation très malvenue

par La Société d'ergonomie de langue française (Self) / 03 décembre 2024

Tribune | Pour les ergonomes de la Société d'ergonomie de langue française (Self), la terminologie « risques ergonomiques », qui a fait son apparition dans les textes officiels, comporte un contresens dangereux pour la prévention. La discipline a pour finalité d’éviter les risques, non d’en générer.

Depuis quelque temps, en particulier à la suite de la création l’an dernier du Fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (Fipu), une appellation surprenante rassemble les contraintes liées au travail manuel et connues comme porteuses de risques pour la santé à long terme : manutentions de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques. Plusieurs textes, dont celui fondateur du Fipu, les dénomment « risques ergonomiques ».

L'ergonomie pour transformer le travail

Il est probable – même si c’est difficile à vérifier – qu’aucun ergonome n’a été consulté lors du choix de cette dénomination. Si cela avait été le cas, l’attention des auteurs de ces textes aurait pu être attirée sur les faux sens, voire les contresens, qu’elle comporte. Les retombées en sont néfastes pour les activités de prévention dans lesquelles les ergonomes sont impliqués, ainsi que dans les enseignements et formations en ce domaine.
Un premier problème, manifeste, est d’accoler directement l’adjectif « ergonomique » à un « risque » - ou, ce qui ne vaut pas mieux, d’user de la locution « risques de l’ergonomie ». Sachant que cette discipline étudie l’activité humaine pour adapter les environnements de travail à celles et ceux qui opèrent dans ces environnements, ses « risques » n’adviennent que si elle échoue, ou dévie de ses finalités. L’ergonomie s’attaque à des risques, elle n’est pas là pour en générer. Comme l’a fait remarquer Catherine Delgoulet, professeure d’ergonomie du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam Paris), lors de son audition à l’Assemblée nationale il y a quelques mois , « risque ergonomique » est une sorte d’oxymore.

Méconnaissance des interventions ergonomiques

Un deuxième problème est le périmètre d’intervention ainsi désigné, certes vaste mais très limitatif au regard des aspects du travail dont l’ergonomie se préoccupe : les efforts physiques, mais aussi le bruit, l’éclairage, la chaleur ou le froid, les produits nocifs ; ou encore, les horaires, les technologies (informatiques ou autres), les modes de communication, l’organisation du travail, la construction des collectifs, les apprentissages… Ces différentes dimensions ont souvent des liens entre elles. L’ampleur des sujets que les ergonomes ont la capacité d’aborder – au besoin avec d’autres spécialistes – est parfois méconnue dans les entreprises ou les administrations, ce qui conduit à gâcher des occasions de leur faire appel. Il serait dommage que des terminologies officielles renforcent cette méconnaissance.
S’il fallait vraiment opter pour une formulation qui puisse grouper les contraintes visées, les solutions ne manquaient pas, à commencer par « facteurs de troubles musculosquelettiques » (TMS). Ce terme, qui est beaucoup moins équivoque, figure d’ailleurs plus loin dans le document fondateur du Fipu.

Une mise en débat nécessaire

Nous croyons en tout cas qu’il y a tout à gagner à remettre en débat l’appellation choisie, avant qu’elle ne s’installe définitivement, avec tout le poids des dispositifs institutionnels durablement établis. Les ergonomes sont bien placés pour alimenter cette critique, mais on peut espérer que d’autres en percevront l’intérêt.


Les signataires de la tribune pour la Self

Alexis Chambel, président de la Self, postdoctorant en ergonomie, École des sciences de gestion, Université du Québec à Montréal (Canada); 
Karine Chassaing, trésorière de la Self, enseignante-chercheure en ergonomie, ENSMAC Bordeaux-INP;
Loic Grosdemouge, membre du conseil d’administration (CA) de la Self, ergonome consultant (Metthod); 
Frédéric Luzi, vice-président de la Self aux affaires nationales, ergonome consultant (Attellu di Ergonomia); 
Vanina Mollo, membre du CA de la Self, enseignante-chercheure en ergonomie, CNAM Toulouse; 
Jeanne Thébault, membre du CA de la Self, enseignante-chercheure en ergonomie, Université de Lille. 
 

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