"Des risques imparfaitement maîtrisés"
A l'occasion de la Journée mondiale de la santé et de la sécurité au travail, le 28 avril dernier, vous avez dressé un état des lieux inquiétant de la prévention des cancérogènes professionnels. Pourquoi ?
William Dab : Parce que, tout d'abord, les risques CMR [cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, NDLR] sont imparfaitement maîtrisés. Ces produits sont largement utilisés - près de 5 millions de tonnes annuellement - et beaucoup d'entre eux n'ont fait l'objet que d'une évaluation succincte avant leur mise sur le marché. La gestion du risque repose pour l'essentiel sur la notion de valeurs limites d'exposition, les VLEP. En réalité, peu de VLEP sont disponibles, elles ne sont pas fondées, en général, sur des évaluations de risques sur le long terme et elles sont monosubstances, c'est-à-dire qu'elles ne tiennent pas compte des effets des mélanges complexes. Bien sûr, on peut attendre du dispositif Reach1 une amélioration sur ces points. Cependant, le principal problème, sur le terrain, est que la réglementation est mal appliquée, et pas seulement dans les petites entreprises. Environ 10 % des salariés sont exposés à au moins un produit cancérogène.
Ensuite, parce que les données épidémiologiques montrent des signaux inquiétants. Ainsi, de nombreux arguments sont en faveur d'un poids anormalement élevé des expositions professionnelles dans le risque de cancer en France. La mortalité prématurée des hommes, avant 60 ans, est une des plus élevées d'Europe. Et le cancer est la première cause de mortalité des hommes jeunes. Cela ne peut s'expliquer ni par la génétique, ni par le tabac, ni par l'environnement, ni par la nutrition et que partiellement par la consommation d'alcool. Reste donc le travail. Or l'analyse régionale révèle que cet excès touche avant tout les régions ouvrières. Il y a là une réalité préoccupante, mais méconnue.
On observe toujours un large déficit de reconnaissance de l'origine professionnelle des cancers. Méconnaissance ou déni ?
W. D. : Les deux phénomènes s'additionnent. Les tableaux de maladies professionnelles reposent sur une imputation strictement individuelle. C'est un système binaire qui ne prend pas en compte la part attribuable aux différentes causes. C'est en décalage complet avec les connaissances scientifiques. L'écart reste trop important entre la connaissance du risque cancérogène et les pratiques de prévention et d'indemnisation. Cette situation semble arranger tout le monde. Les employeurs, puisque l'évaluation individuelle sous-évalue la contribution réelle des facteurs professionnels. L'assureur, qui, tout public qu'il soit, peut redouter l'enjeu financier. Les syndicats, qui y voient une mise en cause plus facile de la responsabilité des employeurs. Il existe une sorte de conspiration invisible, de conjonction d'intérêts et de contraintes qui ne favorise guère les évolutions.
Que faut-il changer dans la politique de prévention ?
W. D. : Deux choses. Sur un plan général, il ne suffit pas de normer et de contrôler. Le principal enjeu est de poursuivre vers l'obligation de résultats plutôt que de moyens. S'agissant du risque cancérogène, il faut que la prévention sorte du modèle unicausal, dépassé sur le plan scientifique. On ne peut plus raisonner produit par produit, ce qui nous fait passer à côté des effets synergiques. Il vaudrait mieux caractériser globalement les situations de travail et prendre en compte l'ensemble des expositions auxquelles les travailleurs sont confrontés. Et leur traçabilité devrait faire l'objet d'un enregistrement obligatoire.
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Dispositif réglementaire européen gérant l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation et la restriction des produits chimiques.