"Le salaire minimum ne suffit pas à la survie des ouvriers"
Avez-vous constaté des améliorations pour les ouvriers depuis l'effondrement du Rana Plaza ?
Amin Amirul Haque : Depuis la catastrophe, mais aussi dès l'incendie de Tazreen en 2012, qui a fait plus de 100 victimes, nous avons constaté des développements dans trois directions. Tout d'abord, le salaire mensuel minimum dans la branche est passé à 60 euros, ce qui correspond à une augmentation de plus de 70 %. La Labor law, la loi qui régente le droit du travail, a également été amendée en 2013. Désormais, si 30 % des salariés se rassemblent, un syndicat peut être créé dans une entreprise sans avoir besoin de demander l'autorisation au propriétaire. Nous avons vu se monter plus de 400 syndicats de cette manière, dans les 5 000 usines que compte le pays. C'est peu, mais c'est plus qu'auparavant, quand nous ne recensions qu'une cinquantaine de syndicats. D'ailleurs, les premières négociations collectives ont pu avoir lieu dans quelques usines. Enfin, en matière de sécurité des bâtiments, de mise aux normes des installations électriques et des dispositifs de prévention et de lutte contre les incendies, nous constatons une réelle avancée grâce à trois initiatives conjointes : The Accord, côté européen, Alliance, côté américain, et le plan d'action national. Les inspections de ces trois instances sont maintenant presque terminées.
D'après vous, les donneurs d'ordres devraient-ils davantage s'impliquer ?
A. A. H. : Oui. Ils ont trois possibilités pour le faire : ils peuvent payer davantage leurs commandes ; donner directement une aide financière à leurs fournisseurs, comme le font Primark, H&M ou Keymark ; ou, enfin, participer au financement de rénovations et de mesures correctives par l'intermédiaire de l'Accord ou de l'Alliance à l'issue de leurs inspections. C'est difficile, les marques ne veulent pas trop donner et certains fournisseurs n'ont pas envie d'être subventionnés. Une solution est peut-être en passe d'être trouvée, sous forme d'un prêt à faible taux d'intérêt. L'IFC et l'USAid, c'est-à-dire le groupe de la Banque mondiale et l'Agence des Etats-Unis pour le développement international, viennent de débloquer 65 millions d'euros pour un prêt de ce type.
Mais toutes ces améliorations présentent leurs limites. D'abord, le salaire minimum a beau avoir augmenté, il ne suffit pas à la simple survie des ouvriers. Et puis, de nombreuses heures supplémentaires ne sont pas rémunérées, tandis que de nombreux licenciements se font sans indemnités, parfois même avec des arriérés de salaire. Par ailleurs, les ouvriers de la confection peuvent certes créer un syndicat s'ils sont 30 % à se rassembler, mais ils ont encore des difficultés à le faire enregistrer. Certains reçoivent des menaces, d'autres se font licencier. De son côté, le ministère du Travail refuse l'enregistrement, ou bien fait traîner l'examen de la demande. Enfin, l'application de l'Accord traîne elle aussi. Les représentants du patronat râlent. Ils contestent chaque point. Par exemple, l'Accord prévoit la mise en place de comités de santé et de sécurité, et nous faisons pression sur le gouvernement pour qu'il finalise les règles afin de les créer, mais les employeurs font tout leur possible pour ralentir le processus.
Quel serait le rôle de ces comités ?
A. A. H. : C'est justement ce qu'il reste à définir précisément. Combien de membres vont-ils compter ? Comment vont-ils fonctionner ? Les discussions sont en cours. Elles sont lentes.
Les conditions de travail ne sont donc pas la priorité ?
A. A. H. : Jour après jour, le management prend conscience de la nécessité d'améliorer les choses, mais sans jamais consulter les syndicats qui peuvent se trouver dans leur entreprise. Nous avons encore un long chemin à parcourir.