Des salons de beauté... et de pénibilité
Coiffeuses et esthéticiennes sont exposées à des contraintes physiques et à des produits chimiques, sources de pathologies invalidantes pour leur travail. Une réalité que le secteur a du mal à appréhender, pour des raisons économiques. Enquête.
A 20 ans, sa carrière est déjà finie. Julie1 va devoir se reconvertir. Sa lombalgie chronique ne lui permet plus de tenir debout et baissée, sept heures d'affilée, pour arracher les bandes de cire sur les jambes de ses clientes, dans le petit salon de beauté où elle travaille. "Je ne sais faire que ça. Je vais essayer de faire accepter un mi-temps thérapeutique pour limiter mon mal de dos", confie la jeune femme, qui a obtenu son CAP d'esthéticienne il y a deux ans seulement. Exposées aux troubles musculo-squelettiques (TMS), les esthéticiennes le sont aussi à des risques infectieux, selon les zones à épiler et l'hygiène de l'établissement. Sans parler des dangers liés aux UV. Ou des allergies aux produits cosmétiques et de dépilation qu'elles manipulent quotidiennement. "Cela survient du jour au lendemain, sans prévenir", observe une esthéticienne parisienne.
Allergies en pagaille
Du côté de la coiffure, la situation n'est pas meilleure. Les allergies constituent la deuxième cause de maladie professionnelle chez les 100 000 coiffeurs et coiffeuses, ainsi que chez les 22 500 apprentis que compte la profession dans l'Hexagone. Ces allergies peuvent être liées aux agents chimiques présents dans certains produits cosmétiques, mais aussi favorisées par le contact des mains mouillées avec des objets métalliques, comme les ciseaux, tondeuses, rasoirs ou la robinetterie. "Généralement, cela commence par une gêne et si rien n'est fait pour l'éviter, cela se transforme en allergie", précise Robert Garnier, maître de conférences et praticien hospitalier au Centre antipoison et de toxicovigilance de Paris. Les coiffeurs et coiffeuses sont aussi exposés à d'autres risques : chutes et glissades, fréquentes sur sol mouillé, première cause d'accident du travail ; coupures de ciseaux ; brûlures de lisseurs... Il faut y ajouter les risques psychosociaux, en augmentation, "avec de plus en plus de journées continues", note Dominique Lafon, médecin du travail.
Selon une enquête du ministère du Travail publiée en 2014, huit coiffeurs et esthéticiens sur dix sont exposés à au moins un agent chimique et une contrainte physique intense (voir "A lire"). Le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a même classé, en 1993, la profession de coiffeur dans le groupe des activités probablement cancérogènes. Quant aux salariés victimes de pathologies - allergies, TMS... -, ils rencontrent de vraies difficultés en termes de maintien dans l'emploi. Pourtant, la mise en oeuvre de mesures de prévention peine à s'imposer dans ces professions, constituées majoritairement d'indépendants ou de salariés travaillant dans de petites structures.
Il y a bien sûr la pression de la clientèle, mais aussi celle des employeurs, dans un secteur de plus en plus concurrentiel. A ce titre, les chaînes low cost qui se développent dans la coiffure ou l'esthétique ne garantissent pas une meilleure prise en compte des conditions de travail. Beaucoup fonctionnent avec des franchises, et la pression de la maison mère, ajoutée au manque de moyens en ressources humaines des TPE-PME, pèse sur les gérants, puis sur les salariés. "Au final, ça retombe sur nous, qui sommes le dernier maillon de la chaîne", déplore Rachel, esthéticienne dans un centre Body'minute.
Dans l'esthétique et la coiffure, la population salariée est très peu syndiquée. Son seul rempart, ce sont souvent les client(e)s, parfois témoins de mauvais traitements et humiliations. Mais cela ne suffit pas toujours à faire respecter le droit à la santé et à la sécurité au travail. "Cela fait trois procédures prud'homales que le patron perd, témoigne Sonia, 23 ans, esthéticienne. Pendant ma grossesse, j'ai demandé un masque de protection pour me préserver des produits chimiques. Que je m'expose moi, c'est une chose, mais je ne voulais pas que mon bébé subisse les risques de mon métier. Le gérant m'a répondu que je n'avais qu'à m'en payer."
Dans ces métiers féminins, la problématique des risques toxiques pour la reproduction est bien réelle. Certains produits cosmétiques sont suspectés d'être des perturbateurs endocriniens. Des chercheurs de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) et d'autres organismes se sont penchés sur la question concernant les coiffeuses, dans une analyse publiée en 2014 (voir "A lire"). Si celle-ci constate des atteintes à la reproduction, il demeure difficile de les relier à une substance en particulier. Et pour cause. Sur les produits cosmétiques, aucun pictogramme encadré de rouge n'indique un danger quelconque, comme il en existe sur les produits ménagers ou les insecticides. C'est le fruit du lobbying des industriels, qui ont obtenu un droit d'exception en matière d'étiquetage.
Sur les flacons, il y a donc uniquement des formules chimiques, que seuls des experts peuvent déchiffrer. Comment, dès lors, évaluer le danger que représentent, par exemple, les persulfates, présents notamment dans les décolorants pour cheveux ? Ils provoquent pourtant des affections cutanées et respiratoires irritatives et sont considérés comme les principaux responsables de l'asthme professionnel des coiffeurs, selon l'INRS. "Leur toxicité a été analysée dans le cadre du règlement européen Reach, mais c'est la direction générale Santé et Sécurité alimentaire de l'Union qui gère les risques relatifs à leur utilisation dans les produits cosmétiques. Or celle-ci s'appuie sur le Comité scientifique pour la sécurité des consommateurs, qui n'évalue pas les risques pour les professionnels, alors que leur exposition est bien plus importante", souligne Henri Bastos, adjoint du directeur de l'évaluation des risques professionnels à l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses).
En poudre, moins cher mais plus dangereux
Le secteur semble bien être un parent pauvre de la prévention. "Certains produits existent en granulés ou en gel, mais leur prix est bien plus élevé qu'en poudre, signale le Dr Robert Garnier. Or, sans préparation en laboratoire ou sans hotte ni salle isolée, la poudre fine vole. Toutefois, la volonté des coiffeurs de mettre le prix et celle des pouvoirs publics d'interdire la commercialisation en poudre manquent cruellement." Pour la Dre Lafon, qui a participé au titre de l'INRS à l'analyse publiée en 2014, il faut a minima "installer une ventilation appropriée, éviter les produits aérosols qui s'échappent dans l'air ambiant ainsi que les filières parallèles de fourniture de produits, qui livrent parfois des produits dont la composition est plus risquée."
Un accord minoritaire, signé le 17 février par deux organisations patronales de la coiffure, la CFDT, la CFTC et l'Unsa, engage la profession à se montrer davantage active dans la prévention des risques et à mettre en place des études de terrain pouvant déboucher sur des actions concrètes. L'Anses, quant à elle, se penche sur les prothésistes ongulaires, profession en plein essor et également polyexposée, notamment à des solvants et colles très volatiles. Ses recommandations sont attendues pour la fin de l'année. En espérant que ces initiatives permettront d'améliorer le sort peu "glamour" réservé aux travailleuses de la beauté.
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Les prénoms ont été modifiés pour préserver l'anonymat des salariés.
"Exposition aux produits cosmétiques et risques pour la grossesse chez les professionnelles de la coiffure", par Dominique Lafon et al.Références en santé au travail n° 138, juin 2014.
"Des risques contrastés selon les métiers", par Selma Amira et Dorothée Ast, Dares analyses n° 39, mai 2014.