Santé et sécurité : l'atout d'une présence syndicale
Lors d'un colloque européen les 11 et 12 février dernier à Bruxelles, des chercheurs et syndicalistes ont présenté plusieurs études démontrant l'impact positif d'une représentation du personnel sur la prévention des risques professionnels.
A quoi servent les CHSCT ? C'est le titre, quelque peu provocateur, d'une récente étude de la direction de l'Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares), du ministère du Travail. Présentée lors d'un colloque organisé les 11 et 12 février dernier à Bruxelles par la Conférence européenne des syndicats (CES) et son Institut syndical européen pour la recherche, la formation et la santé et la sécurité (ETUI-REHS), cette étude a été l'un des points forts de ces journées d'échanges, qui ont réuni une centaine de chercheurs en sciences sociales et syndicalistes des pays d'Europe.
" Des dizaines de millions d'euros sont consacrés chaque année en Europe à la santé au travail. Pour autant, il y a encore très peu de recherche sur la dynamique sociale de prévention ", a noté Laurent Vogel, de l'ETUI-REHS. L'institut syndical de la CES a mis en place le projet Epsare, dont l'idée principale est de favoriser la coopération et les échanges d'expériences entre les différents pays européens. " Il n'existait à ce jour aucune étude concernant l'impact des CHSCT sur les politiques de prévention et sur la santé-sécurité des salariés ", a expliqué pour sa part Thomas Coutrot, de la Dares.
Une source d'information
L'analyse, dite " multi-sources ", de la Dares a été menée à partir des données de trois enquêtes : Sumer1 2003, Reponse2 2004 et Conditions de travail 2005. La qualité de la prévention a été évaluée en fonction du nombre de salariés disposant d'une protection individuelle lorsqu'une exposition est identifiée, mais aussi selon le jugement des médecins du travail. Ainsi, la probabilité que le salarié dispose d'une protection individuelle face à un risque chimique augmente de 20 % en présence d'un CHSCT. Elle augmente de 30 % face à un risque biologique. L'existence de représentants du personnel en hygiène et sécurité diminue également la probabilité que le médecin du travail juge " mauvaise " la qualité du poste de travail. Ainsi, a souligné Thomas Coutrot, " la présence d'un CHSCT dans l'établissement améliore clairement la qualité de la prévention ". Qui plus est, cette présence multiplie par plus de deux la probabilité que les salariés reçoivent une information ou une formation sur les risques professionnels. En revanche, l'efficacité du CHSCT face aux risques organisationnels n'a pu être mise en évidence. Comme l'a rappelé le chercheur, les représentants du personnel ont sans doute moins de difficulté à exiger des protections contre des risques identifiés qu'à remettre en cause une organisation du travail.
D'autres études présentées au cours du colloque ont également montré une diminution sensible des accidents du travail lorsque des représentants en santé et sécurité participent à l'évaluation des risques. Cette participation, selon Dave Joyce, responsable santé et sécurité du syndicat britannique des communications CWU, a permis en quatre ans de faire chuter de moitié le taux d'accidents à la poste britannique Royal Mail. Le chercheur italien Davide Dazzi, de la fondation pour le travail de la région du Piémont, a de son côté relevé que la mise en place de représentants en santé et sécurité pour les petites entreprises s'est accompagnée d'une diminution sensible des accidents du travail dans le secteur de l'artisanat. En Italie, le législateur a en effet donné aux salariés des PME la possibilité de désigner des représentants au niveau territorial. Quelques accords régionaux ont été conclus, dans les secteurs du tourisme, de l'artisanat, du commerce et de la construction.
Jan Popma, un sociologue de l'université d'Amsterdam, aux Pays-Bas, a présenté une recherche néerlandaise montrant elle aussi une amélioration de la qualité de la prévention lorsque les salariés et leurs représentants sont impliqués dans l'évaluation des risques. Malheureusement, les employeurs n'optent pas souvent pour des démarches participatives dans ce domaine, ce qui limite l'efficacité de la représentation du personnel. En Belgique, une première enquête nationale sur les marges de manoeuvre des élus aux CPPT, équivalents des CHSCT français, indique qu'ils sont peu associés à la procédure d'évaluation. Dans les entreprises où l'évaluation a été menée, seuls 22 % des élus signalent avoir été associés au choix de la méthode ; 19 % disent avoir été consultés pendant l'étude et 15 % avoir participé à l'étude au sein de groupes de travail.
Prérequis identifiés
La simple présence d'élus ne suffit pas. Encore faut-il qu'ils aient la possibilité d'assurer leurs missions. David Walters, chercheur au Centre de médecine du travail de l'université de Cardiff, en Grande-Bretagne, a travaillé sur les prérequis pour assurer l'efficacité des représentants en santé et sécurité. Il a mené quinze études de cas dans différents secteurs d'activité britanniques. Les prérequis identifiés par le chercheur sont les suivants : l'existence d'un cadre juridique et sa surveillance par une inspection du travail, l'engagement de la direction dans une démarche participative, le soutien extérieur de la part d'organisations syndicales et la consultation réelle des salariés par leurs représentants. " Lorsque ces prérequis existent, les résultats sont impressionnants ", a déclaré le chercheur. " Mais ces conditions sont rarement remplies ", a-t-il regretté, en déplorant " l'agenda néolibéral " de l'Union européenne, qui marginalise selon lui les réponses collectives et les organisations syndicales.
De l'avis de nombre de participants, le soutien des organisations syndicales reste déterminant pour assurer l'efficience de la représentation du personnel en santé et sécurité. " Sans organisation syndicale, l'efficacité de cette représentation est faible, a résumé Laurent Vogel. Le rôle que doivent remplir ces représentants implique en effet un savoir-faire collectif que possèdent les syndicats. " Quelques-uns d'entre eux ont présenté leurs actions sur le sujet. Ainsi, en Espagne, la confédération syndicale Comisiones Obreras a mis en place l'Institut syndical du travail, de l'environnement et de la santé, une fondation dont l'objectif est de diffuser des informations, mais aussi de mettre sur pied des outils efficaces d'évaluation des risques. En Italie, trois fédérations syndicales se sont regroupées pour créer le groupe " femmes-santé-travail ", dont le but est d'aider les représentantes en santé et sécurité dans leur action, tant en termes d'information que de formation. Ce groupe a notamment lancé des études sur les troubles musculo-squelettiques et les conséquences du travail posté chez les femmes. En Belgique, la Centrale nationale des employés a travaillé dans le secteur de la grande distribution, dans le but d'améliorer les conditions de travail des caissières. Autant d'expériences à analyser pour en retirer les enseignements permettant d'améliorer la prévention, comme le prévoit le projet Epsare.
Certaines des études présentées lors du colloque des 11 et 12 février sont disponibles sur le site de l'Institut syndical européen pour la recherche, la formation et la santé et la sécurité : http://hesa.etui-rehs.org/fr