Santé publique France arrête le suivi du cancer de l’amiante
Dans un message que Santé & Travail a pu consulter, l’agence Santé publique France annonce son désengagement de l’ensemble du dispositif de surveillance du mésothéliome, le cancer de l’amiante. Une décision lourde de conséquences pour les soignants, les chercheurs et les malades.
« Casser le thermomètre pour ne plus voir la fièvre. » L’expression est sur toutes les lèvres des parties prenantes. Dans un mail adressé le 21 décembre à une trentaine de spécialistes du mésothéliome, Santé publique France a annoncé « se résoudre à interrompre » le Programme national de surveillance des mésothéliomes (PNSM) et renonce au déploiement du Dispositif national de surveillance des mésothéliomes (DNSM) qui devait le remplacer. Une « décision extrêmement difficile », selon l’agence qui dit ne plus avoir les « ressources suffisantes ». A ce jour, aucune annonce officielle n’a été faite par Santé publique France, qui n’a répondu à aucune de nos sollicitations, alors que ce désengagement suscite d’ores et déjà une immense inquiétude chez les soignants, les chercheurs, les patients et leurs associations. Contacté, le ministère de la Santé n’a pas davantage jugé opportun de répondre à nos questions.
Plus de mille nouveaux cas chaque année
« Ce retrait donne l’impression de porter le discours que l’amiante, c’est fini, ce qui est très loin d’être le cas », souligne Alain Bobbio, secrétaire national de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante et autres maladies professionnelles (Andeva), qui réclame des moyens pour pérenniser le dispositif. Avec environ 1 100 nouveaux cas chaque année, le mésothéliome pleural, cancer spécifique d’une exposition à l’amiante, est un indicateur essentiel de la présence du matériau cancérigène dans les espaces professionnels, domestiques et environnementaux. « Malgré l’interdiction de l’amiante en France en 1997 et en Europe en 2005, la décroissance du nombre de mésothéliomes n’est toujours pas une réalité, souligne le professeur Arnaud Scherpereel, professeur du CHU de Lille et président de l'International Mesothelioma Interest Group (iMig), société scientifique mondiale dédiée au mésothéliome. Tout ce que l’on voit, c’est un plateau des incidences. »
Créé en 1998, le PNSM a été mis en place par Santé publique France dans 21 départements couvrant 30 % de la population. « Ses résultats montrent une féminisation importante de la population concernée par le mésothéliome, note Arnaud Scherpereel. Le ratio est passé d’une femme pour six hommes à pratiquement une pour deux, avec probablement davantage d’expositions domestiques et environnementales. Dans une moyenne plus âgée, apparaissent des patients très jeunes, de seulement 20 ou 30 ans. » Les données statistiques du PNSM sont complétées par des enquêtes auprès des patients, ce qui permet notamment une compréhension plus fine des sources d’expositions. « Dans les départements concernés, le taux de reconnaissance en maladie professionnelle est plus élevé du fait de la sensibilisation que permet l’entretien de reconstitution de carrière », note Alain Bobbio.
« Un préavis de fermeture »
Le passage du PNSM au DNSM devait apporter une vision élargie. « Le DNSM visait à une exhaustivité des départements français pris en compte, ce qui allait permettre l’intégration de ceux qui comptent beaucoup de malades comme le Nord, explique le secrétaire national de l’Andeva. Ce dispositif de surveillance devait aussi concerner tous les types de mésothéliomes1
, et non plus seulement ceux de la plèvre. » Au lieu d’une amélioration de la surveillance attendue depuis 2021 et retardée en raison de difficultés à mettre en place le logiciel informatique du DNSM, c’est donc la suppression de tout le dispositif de surveillance qui aura lieu, après ce que Santé publique France appelle « une année de transition ». En 2024, les fonds alloués au PNSM représentent 80 % des financements assurés en 2020 (et seulement 50 % de ceux mis en œuvre en 2022). « Cette année de “transition” est en réalité une année avant un arrêt définitif, c’est un préavis de fermeture », déplore Arnaud Scherpereel.
Outre la disparition des dispositifs de surveillance du mésothéliome, le désengagement de Santé publique France va aussi avoir un lourd impact sur Mesopath, réseau d'expertise anatomopathologique et de recherche sur les tumeurs de la plèvre, qui va perdre un tiers de son financement. « Le rôle de ce réseau est d’assurer la certification diagnostique de tous les mésothéliomes constatés en France », explique la professeure Sylvie Lantuejoul, coordinatrice nationale de Mesopath et co-coordinatrice de Netmeso, le réseau des centres experts cliniques pour la prise en charge du mésothéliome. « Dans certaines zones, il est difficile de distinguer un mésothéliome primaire de métastases d’un autre cancer (sein, poumon, etc.), ce qui va rejaillir sur la prise en charge du patient », précise Sylvie Lantuejoul. La certification diagnostique écarte toute erreur et permet d’affiner le choix du traitement. Son caractère systématique permet d’établir les chiffres les plus sûrs concernant l’incidence des mésothéliomes puisque le PNSM n’a pas été déployé sur toute la France et que la déclaration obligatoire n’aboutit au recensement que de la moitié des cas (500 au lieu de 1 100).
En jeu, l’indemnisation des victimes
Par ailleurs, la certification du mésothéliome joue aussi un rôle clé dans l’indemnisation des patients. « A partir du moment où elle est délivrée, le patient peut recevoir la compensation financière octroyée par le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva) », poursuit Sylvie Lantuejoul. Enfin, les données cliniques et anatomopathologique réunies par Mesopath alimentent Mesobank, un outil de recherche unique au monde qui permet à la France d’être à la pointe des connaissances scientifiques. Cet étage-là risque aussi d’être fragilisé. « Le désengagement brutal de Santé publique France, sans concertation, ni recherche d’un plan B avec les partenaires, met en péril l’équilibre du réseau Mesopath, souligne Sylvie Lantuejoul. Pour poursuivre notre activité, il faudra réduire les coûts, en particulier humains, et mettre en place des mesures dégradées comme l’inégalité de diagnostic et donc des pertes de chance des patients. »
- 1Le plus répandu des mésothéliomes dus à l’amiante est le mésothéliome pleural (plèvre), mais ce cancer peut aussi affecter le péritoine (mésothéliome péritonéal) ou encore le péricarde (mésothéliome péricardique).