La santé des salariés au cœur des restructurations
Pour les représentants du personnel, confrontés aux plans sociaux qui se multiplient, il s’agit de ne pas perdre de vue les conséquences pour ceux qui restent. Ils ont les moyens de peser dans la négociation pour préserver leurs conditions de travail.
La crise sanitaire liée au Covid-19 s’accompagne d’une crise économique et sociale majeure, se traduisant par une forte augmentation des restructurations : 394 plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) ont été initiés entre le 1er mars et le 16 septembre 2020, contre 249 à la même période en 2019, représentant 57 000 suppressions d’emplois, soit trois fois plus que l’an passé.
Dans ce contexte, l’équilibre économique des entreprises et la préservation de l’emploi sont affichés comme prioritaires par les pouvoirs publics et les partenaires sociaux. Les conséquences sur les conditions de travail et la santé au travail sont plus rarement évoquées. Or, ces enjeux sont importants, d’autant plus que les restructurations interviennent pendant une crise sanitaire déjà porteuse de risques significatifs pour les salariés : stress chronique lié à la peur de la contamination en entreprise, conditions d’exercice de l’activité globalement dégradées (télétravail précipité et/ou mise en place sur site de mesures de protection contraignantes), affaiblissement des collectifs de travail (télétravail, activité partielle), etc.
Quelles stratégies les représentants du personnel peuvent-ils adopter pour qu’un projet de restructuration garantisse la préservation de la santé des salariés ? Les réponses sont de plusieurs ordres car, depuis les « ordonnances Macron » de 2017, les employeurs disposent désormais de nombreuses modalités pour restructurer : PSE, plan de départ volontaire inclus dans un PSE, mais aussi rupture conventionnelle collective, accord de performance collective, ou encore activité partielle de longue durée (voir encadré).
Informer et consulter le CSE
Le PSE a longtemps constitué le seul « outil » à disposition de l’employeur pour opérer des suppressions d’emplois significatives. Pour l’utiliser, celui-ci doit justifier d’un motif économique. Obligatoire, l’information- consultation du comité social et économique (CSE) porte notamment sur les conséquences de la restructuration sur la santé des salariés demeurant dans l’entreprise. L’organisation future du travail doit être présentée en détail : permet-elle aux collectifs de jouer leur rôle de soutien ? Intensifie-t-elle le travail ? Préserve-t-elle l’autonomie décisionnelle ou la possibilité de réaliser un travail de qualité ? La direction a également l’obligation de réaliser une évaluation des risques professionnels, notamment sur l’évolution de la charge de travail, en détaillant les actions de prévention prévues.
Si ces aspects ne sont pas suffisamment explicités, le CSE a la possibilité d’alerter la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte), laquelle peut enjoindre l’employeur à compléter son projet, voire refuser d’homologuer ou de valider le PSE. Cette dernière « menace » est désormais un des principaux leviers pour les instances représentatives du personnel (IRP) dans le champ de la santé au travail.
Mettre en avant les conditions de travail
Toutefois, beaucoup d’employeurs choisissent de négocier le PSE avec les organisations syndicales représentatives (OSR) de l’entreprise en vue de « sécuriser » juridiquement le projet de restructuration : en cas d’accord, il est rare que la Direccte invalide le PSE. Dans ce cas, les OSR doivent mettre en avant les conditions de travail lors de la négociation. Cela permet d’abord d’introduire un accompagnement au reclassement qui prend en compte l’enjeu de santé des personnes licenciées. Puis d’avoir un levier pour réduire l’ampleur de la restructuration : montrer que la suppression de X emplois dans tel service conduira à dégrader les conditions d’exercice de l’activité, au risque de nuire à la qualité du travail et à la santé de ceux qui restent est un argument solide pour sauver des emplois. Bien entendu, les représentants du personnel, pour agir efficacement, ont besoin de s’appuyer sur l’expertise des salariés. Ils ont aussi la possibilité de se faire assister par un expert dans cette tâche.
Si les PSE prévoient le plus souvent des licenciements contraints, ils peuvent également inclure des départs « volontaires ». Le plan de départ volontaire appelle une vigilance sur certains points : quels sont les facteurs qui poussent les salariés à y adhérer ? Les départs sont-ils véritablement volontaires ou assimilables à une « fuite » de l’entreprise pour se protéger ? Le périmètre des départs volontaires est-il trop large, ce qui peut conduire à des pertes de compétences préjudiciables à l’activité ? Ou au contraire est-il trop restreint, ce qui risque de provoquer un sentiment d’injustice pour ceux qui en sont exclus ?
En dehors du PSE, deux nouvelles modalités de restructuration ont fait leur apparition depuis 2017 : la rupture conventionnelle collective (RCC), qui exclut tout licenciement contraint, et l’accord de performance collective (APC). Leur point commun est d’ouvrir la voie à des restructurations négociées, l’employeur n’ayant pas à prouver l’existence d’un motif économique. En revanche, il lui faut la signature des organisations syndicales majoritaires dans l’entreprise, soit celles ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au CSE. Ces dernières ont, par conséquent, des marges de manœuvre pour porter dans la négociation la santé au travail, en faisant de sa prise en compte une condition de leur signature.
L’accord sur une RCC précise le nombre maximal de suppressions d’emplois envisagées, la durée de mise en œuvre du dispositif, les conditions pour en bénéficier, les indemnités de rupture et les mesures facilitant le reclassement. Dans les faits, les négociations portent avant tout, voire exclusivement, sur les mesures de reclassement et les indemnités. Contrairement au PSE, il n’y a pas d’obligation de traiter les sujets de l’organisation ou de la santé au travail ; d’ailleurs, ils ne figurent que très rarement dans les accords signés. Les négociateurs n’y sont pas incités, notamment par les personnes intéressées par un départ volontaire, qui réclament avant tout de bonnes conditions de « sortie ».
Une désorganisation des collectifs
Les enjeux de santé apparaissent pourtant tout aussi importants, notamment si l’organisation qui découle de la RCC tarde à être mise en place et si les départs s’effectuent sur d’autres postes que ceux qui seront supprimés dans la future organisation, entraînant une désorganisation des collectifs de travail et des situations de débordement dans certaines équipes. Dans ce cadre, les négociateurs ont donc tout intérêt à obliger la direction à « dévoiler » son organisation cible, afin que soient envisagées des modalités de transition. Celles-ci permettraient de gérer, par exemple, des départs sur des postes autres que ceux estimés en sureffectif, en prévoyant des processus de mobilités internes. Avant la signature, les négociateurs peuvent aussi demander à l’employeur de mettre à jour le document unique d’évaluation des risques (DUERP), afin d’y inclure ceux liés à la RCC.
Des indicateurs de suivi nécessaires
Si une commission de suivi de l’accord est mise en place, il faudra prévoir des indicateurs sur la santé au travail, afin de pouvoir discuter d’actions correctrices le cas échéant. Cette forme de restructuration ayant toutes les chances de déboucher, in fine, sur une modification importante de l’organisation du travail, l’employeur est alors tenu d’informer et consulter le CSE (article L. 2312-8 du Code du travail), bien qu’il soit souvent trop tard pour réparer les dégâts, les départs ayant déjà eu lieu.
Il reste enfin les accords de performance collective (APC), qui permettent d’imposer aux personnels des dispositions se substituant à celles prévues par leurs contrats de travail. Si un salarié les refuse, il peut être licencié pour un motif spécifique constituant une cause réelle et sérieuse. Un APC peut ainsi entraîner une mobilité professionnelle ou géographique, une baisse de la rémunération ou un déclassement, ou encore une modification de l’organisation ou de la durée du travail. Ces modifications constituent en elles-mêmes des facteurs de risques pour la santé du salarié : perte d’estime de soi (déclassement, polyvalence forcée), insécurité économique via la baisse de la rémunération, déséquilibre vie professionnelle/vie personnelle (mobilité géographique, allongement du temps de travail), intensification du travail... Par ailleurs, si de nombreux salariés refusent les termes de l’accord, les départs qui en résulteraient sont susceptibles de désorganiser l’activité et de détériorer les conditions de travail.
Il est alors essentiel que les OSR abordent la santé au travail, l’employeur ne le faisant presque jamais. Il s’agit d’amener la direction à préciser la future organisation. Chaque disposition de l’accord devrait être aussi accompagnée d’une analyse des facteurs de risques induits. Enfin, l’accord pourra inclure une clause de revoyure, fondée sur des indicateurs de santé au travail, prévoyant la possibilité d’annuler certaines dispositions, au cas où ils se dégraderaient.