Santé au travail : attention danger !
Deux récents rapports démontrent que les acteurs et dispositifs censés participer à la réduction des risques professionnels sont à la peine et ne remplissent par leur rôle. Du fait de moyens inadaptés… mais aussi d’un manque de volonté politique.
En mars, giboulées de mauvaises nouvelles pour la santé au travail. Ce sont tout d’abord deux rapports, l’un sur les services de prévention et de santé au travail (SPST), l’autre sur l’efficacité des aides à la prévention des risques professionnels dispensées par la Sécurité sociale, qui montrent que des dispositifs essentiels pour enrayer la dégradation des conditions de travail ne fonctionnent pas vraiment.
Le premier document a été rédigé par les services du ministère du Travail et rendu public tout début mars. Il dresse le bilan, pour l’année 2022, de l’activité des services de « médecine du travail » comme on les appelle encore communément. C’est le premier état des lieux établi de la sorte, après la réforme votée avec la loi du 2 août 2021, laquelle devait renforcer l’activité de prévention des services. Or, le résultat est pour le moins mitigé. Un premier chiffre a de quoi inquiéter le gouvernement et les partenaires sociaux à propos de la délicate question du maintien dans l’emploi et de la prévention du risque de désinsertion professionnelle : près de 135 000 inaptitudes ont été prononcées par les médecins du travail, dont 38 % avec dispense de reclassement, soit plus de 58 000 salariés.
Catastrophe annoncée
Quand on sait que la grande majorité des inaptitudes se solde par un licenciement, cela donne une idée de l’ampleur de la catastrophe annoncée avec le recul de l’âge de la retraite. Celui-ci, de l’avis des professionnels de la santé au travail, devrait encore amplifier le phénomène. Et ce d’autant plus que les cellules de prévention de la désinsertion professionnelle, pourtant obligatoires dans les SPST, n’ont été mises en place que dans 75 % d’entre eux. En outre, elles ne semblent pas débordées, puisque le rapport indique qu’elles n’ont reçu que 95 000 salariés. Rapporté au nombre d’inaptitude, on est loin du compte.
Les autres données de ce rapport ne sont guère plus engageantes. Deux outils importants de prévention sont à la traîne : la fiche d’entreprise, qui doit être renseignée par les SPST sur l’ensemble des risques auxquels sont exposés les salariés, et le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), qui doit être établi par l’employeur et obligatoirement transmis aux SPST. Avec seulement 140 000 fiches remplies en 2022 par les services et 3 % des entreprises qui ont transmis leur DUERP, on mesure le chemin qui reste à parcourir pour que ces démarches entrent dans les mœurs.
Un audit sévère
Le titre du second document est parlant : Les aides de la Cnam à la prévention des risques professionnels : une efficacité non démontrée. Il s’agit d’un audit flash mené par la Cour des comptes et qui « recommande la révision des dispositifs d’aide, aujourd’hui trop peu ciblés et insuffisamment évalués » proposés par branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam).
Et le document de 40 pages de dresser un constat sévère de ces aides destinées, pour les unes, aux entreprises de moins de 200 salariés, et pour les autres aux moins de 50. Les intertitres de la synthèse parlent d’eux-mêmes : « un pilotage mal éclairé et insuffisamment ciblé », « des subventions “ prévention TPE ” difficiles à mettre en œuvre et à l’impact incertain », « un contrôle interne embryonnaire, au renforcement indispensable ».
Plus précisément, il est reproché à ces dispositifs d’être déconnectés de la sinistralité des entreprises. « Les deux dispositifs d’incitation financière étudiés ne permettent pas, selon les rares études réalisées, de réduire la sinistralité dans les petites entreprises », est-il écrit dans la conclusion principale de l’audit. « Ces insuffisances sérieuses » sont jugées « préoccupantes » par les magistrats de la rue Cambon, alors que les pouvoirs publics misent sur l’entrée en service du Fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (Fipu), doté de 1 milliard d’euros sur cinq ans et destiné à financer des actions dans les entreprises et les branches professionnelles. Or ce fonds, officiellement ouvert depuis le 18 mars, est géré par la branche AT-MP de la Cnam…
Des réformes contre-productives
En définitive, ces deux rapports permettent de bien mesurer que, malgré les engagements des pouvoirs publics et des partenaires sociaux, la prévention de l’usure professionnelle, le maintien en emploi des seniors et la lutte contre les accidents du travail et les maladies professionnelles ne sont pas au rendez-vous. C’est d’autant plus préoccupant que, par ailleurs, une étude sociologique, menée par des chercheurs de l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) pour la CFDT, montre que la santé au travail est la grande perdante des ordonnances travail de 2017. La disparition des CHSCT au profit de la fusion des instances au sein du CSE a affaibli le dialogue social sur ces sujets et compliqué la tâche des représentants du personnel sur la prise en compte des problématiques de santé et sécurité au travail.
Dans ces conditions, il est déraisonnable, comme le souhaitent le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, et les parlementaires auteurs du rapport intitulé Rendre des heures au Français, de vouloir relever les seuils de création des CSE. Quand on sait que c’est précisément dans ces PME que se concentrent la majorité des salariés et les risques professionnels, un tel recul social condamnerait encore davantage la France à s’enfermer dans la dégradation des conditions de travail.