Schizophrénie
Jamais deux sans trois. Pour la troisième fois, l'Assemblée nationale a repoussé une proposition de loi visant à améliorer la reconnaissance des pathologies psychiques d'origine professionnelle. François Ruffin, député de La France insoumise, n'aura donc pas rencontré plus de succès que Benoît Hamon dans la précédente législature, lequel s'y était repris à deux fois. Pourtant, l'alignement des planètes n'a jamais été aussi favorable pour une amélioration de la prise en charge de ce fléau.
Tout d'abord, selon une étude de la direction des Risques professionnels de l'Assurance maladie, près de 20 000 affections psychiques ont été reconnues et indemnisées au titre des accidents du travail (AT) en 2016. C'est un chiffre considérable, au regard notamment des (seulement) 596 atteintes psychiques reconnues en maladies professionnelles (MP) cette année-là. Cela démontre l'ampleur des risques psychosociaux (RPS).
Mais ce n'est que la partie visible de l'iceberg. En effet, seules certaines pathologies psychiques peuvent remplir les conditions réglementaires pour être reconnues comme AT (voir "Evénement" page 6). Dans une majorité de cas, cette solution ne fonctionne pas et l'absence de tableau de maladies professionnelles complique sérieusement la prise en charge.
Ensuite, derrière ces chiffres, il y a des arrêts de travail nombreux et longs. Beaucoup plus longs que la moyenne pour les pathologies psychiques. Cela coûte cher à la branche maladie, puisque la majorité d'entre eux ne sont pas pris en charge par la branche AT-MP. Tellement cher que la Sécu a prévenu : elle aura à l'oeil certains secteurs ayant un taux d'absentéisme"atypique". Une expérimentation est déjà en cours qui vise à rencontrer les entreprises concernées pour les inciter à investir dans la prévention, notamment à propos des RPS. Au risque que cela se retourne contre les malades eux-mêmes, qui pourraient être très vite stigmatisés... et poussés vers la sortie !
Enfin, les conséquences de ces affections sont souvent socialement dramatiques. Dans un rapport de décembre dernier, l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) annonce que les pathologies ostéo-articulaires et les troubles mentaux ou du comportement représentent 75 % des avis d'inaptitude. Même si, selon elle, les deux tiers sont d'origine non professionnelle, on imagine facilement que les salariés concernés ne pourront pas se maintenir dans des emplois favorisant ce type de pathologies. Et c'est ainsi que l'Igas estime qu'entre un et deux millions de personnes sont menacées de désinsertion professionnelle à moyen terme en raison de problèmes de santé durables (voir notre enquête page 16). Rien que ça !
Dès lors, la position de la majorité parlementaire, de l'exécutif et de la Sécu de refuser la création d'un tableau pour les pathologies psychiques professionnelles apparaît aussi schizophrène que celle consistant à nier la pénibilité du travail tout en reculant l'âge de la retraite sans se préoccuper du devenir des salariés vieillissants, ou encore à renforcer le contrôle des chômeurs sans se soucier de leur aptitude à occuper les postes disponibles sur le marché du travail