Le secret médical, un impératif absolu
Une récente décision du Conseil d'Etat a rappelé la portée générale et absolue du secret médical, pas toujours respecté dans la prise en charge des risques psychosociaux en entreprise. Certaines dérogations existent, strictement réglementées.
L'explosion des risques psychosociaux (RPS) a conduit à multiplier les formes d'interventions médicales dans le champ de la santé au travail, sans que le secret médical soit toujours préservé. Dès 2008, à l'occasion de la mise en place de cellules d'écoute et d'accompagnement au sein de France Télécom, le Conseil national de l'ordre des médecins (Cnom) s'est inquiété de certaines dérives dans la prise en charge des RPS et a dû intervenir publiquement pour rappeler les principes de la déontologie médicale1 . Plus récemment, en février dernier, une décision du Conseil d'Etat2 est venue réaffirmer la portée générale et absolue du secret médical. Celui-ci constitue une garantie fondamentale pour le salarié qui s'impose au médecin intervenant dans une entreprise comme un devoir de son état, et ce, quelle que soit la forme de son exercice.
"Toute information de caractère personnel"
Dans l'affaire examinée par le Conseil d'Etat, un médecin psychiatre avait été chargé, comme consultant d'un organisme mandaté par le CHSCT d'une grande entreprise, de participer à une mission d'expertise à la suite de plusieurs suicides survenus dans cette société. Ce praticien, qui n'avait pas eu accès aux dossiers médicaux des personnes suicidées, avait conduit son analyse à partir d'éléments fournis par les collègues et la famille. Le résultat de son expertise avait été présenté oralement devant les membres du CHSCT. La chambre disciplinaire du conseil régional de l'ordre a condamné en première instance le psychiatre pour violation du secret médical.
Une sanction qui a été annulée en appel par la chambre disciplinaire du Cnom. Cette juridiction a fait valoir que l'identité des personnes décédées, qui avait été dévoilée lors des comptes rendus, était nécessairement connue de leurs proches ainsi que des membres du CHSCT. Elle a également estimé que la présentation des cas de suicide à laquelle il avait été procédé devant le CHSCT ne contenait aucun renseignement d'ordre médical, mais seulement des mentions relatives à la vie personnelle des personnes décédées. Le Conseil d'Etat, devant lequel un recours en cassation a été formé, a été conduit à annuler cette décision en considérant que le secret "ne couvre pas seulement les données à caractère médical d'un patient mais couvre également toute information de caractère personnel relative à ce dernier, qu'elle ait été confiée au praticien par le patient ou que le praticien l'ait vue, entendue ou comprise dans le cadre de son exercice", comme le stipule le Code de la santé publique (voir "Repères").
Circulation maîtrisée des données médicales
Cette décision du Conseil d'Etat est importante pour la pratique des médecins qui exercent dans le champ de la santé au travail. Elle vient souligner que le secret médical ne se limite pas aux seules confidences de la personne examinée : il couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession. Le fait que des éléments ne comportent aucune indication relevant du diagnostic médical n'autorise en aucun cas le praticien à les divulguer à des tiers. Même si les éléments recueillis sont déjà connus, le secret professionnel ne peut être levé, puisque leur révélation par un médecin aura pour effet de leur conférer un caractère certain et de leur donner une précision médicale dont ils étaient auparavant dépourvus.
Le secret médical représente ainsi un interdit, contrepartie du droit exceptionnel qu'a le médecin d'accéder à l'intimité de la personne qu'il examine et plus généralement à l'ensemble des éléments de la vie de l'entreprise qui sont portés à sa connaissance lorsqu'il intervient dans le champ de la santé au travail. Cette obligation de se taire va très loin : le médecin ne peut être délié du secret médical par le patient et il ne peut témoigner en justice sur des faits connus à l'occasion de son métier.
Dans les entreprises, cette portée générale et absolue du secret médical n'est pas toujours bien comprise par les partenaires sociaux. Il arrive parfois qu'elle soit interprétée comme un privilège protégeant la profession médicale ou comme un subterfuge pour éviter de prendre position dans le débat social. Une telle interprétation constitue un contresens ! En effet, le médecin qui veille rigoureusement au respect du secret médical crée les conditions pour qu'on lui confie, sans crainte d'être trahi, des éléments intimes qui pourront servir à aider individuellement ou collectivement les salariés. De plus, pour que le secret médical ne nuise pas aux intérêts des salariés, le législateur a prévu des dérogations qui autorisent une circulation maîtrisée des données médicales. C'est ce strict respect du secret et de ses dérogations qui permet au médecin d'être pleinement informé et qui va donner toute leur autorité aux avis qu'il émet.
Dans le champ de la santé au travail, la dérogation la plus connue est celle relative à la déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles. Les articles L. 441-6 et L. 461-5 du Code de la Sécurité sociale demandent au praticien qui donne des soins à la victime d'un accident du travail d'établir un certificat initial indiquant l'état de celle-ci, le siège, la nature et la localisation des lésions, les conséquences de l'accident ou ses suites éventuelles. Les décisions d'aptitude ou d'inaptitude et les propositions de mesures individuelles telles que les mutations ou les transformations de poste justifiées par l'état de santé des travailleurs peuvent également être considérées comme des dérogations au secret médical. Elles sont prévues par les articles L. 4624-1 et R. 4624-47 du Code du travail.
Alerter sans trahir
Ces dérogations explicites au secret médical concernent les intérêts individuels. Mais qu'en est-il pour la collectivité ? Comment, par exemple, un médecin du travail peut-il alerter sur des risques professionnels sans pour autant trahir le secret médical ? Pour cela, il dispose de plusieurs possibilités qui lui sont offertes implicitement par le Code du travail. Sous réserve de garantir l'anonymat et l'intimité des salariés, le médecin du travail qui constate un risque pour la santé des travailleurs doit le mentionner sur la fiche d'entreprise ou d'établissement (art. D. 4624-37). De surcroît, il propose des mesures préventives par un écrit motivé et circonstancié (art. L. 4624-3). Enfin, le rapport annuel d'activité qu'il doit présenter en CHSCT lui permet de formuler des observations générales sur l'état de santé des travailleurs et sur les risques professionnels.
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Ce texte est accessible sur le site du Conseil national de l'ordre des médecins : www.conseil-national.medecin.fr/article/recommandations-sur-les-dispositifs-de-prise-en-charge-des-risques-psychosociaux-77
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Conseil d'Etat, arrêt du 5 février 2014 n° 360723. Disponible sur www.conseil-etat.fr