Le secteur public restructuré dans la douleur
Un rapport européen montre que les restructurations opérées dans le secteur public nuisent à la santé des agents et préconise une meilleure anticipation de leurs effets délétères. Résumé d’une journée de débat organisée autour de ce document.
Quels sont les effets sur la santé des restructurations dans le secteur public ? Le 21 septembre dernier, l’association Astrees1 et le cabinet d’expertise Secafi ont souhaité apporté leurs réponses à cette question, en organisant un débat sur le dernier rapport Hires2 (pour Health in restructuring, ou santé dans les restructurations), dédié au secteur public.
Premier constat : les restructurations, qu’elles prennent la forme d’une réduction des effectifs, d’une réorganisation géographique ou structurelle, d’une externalisation ou d’une intensification du travail, se traduisent partout par une diminution de l’emploi public. Et partout les changements dans les méthodes et l’organisation du travail touchent l’éthique du service public. Un effet particulièrement ressenti en France, a expliqué en substance Claude-Emmanuel Triomphe, délégué général d’Astrees et coauteur du rapport. Autres constats : ces évolutions, dans des secteurs fortement syndiqués, s’accompagnent de beaucoup de consultations, mais celles-ci portent essentiellement sur la façon de mettre en œuvre des projets déjà construits, sans impact sur leur nature ou leur étendue. Les réorganisations sont décidées dans un cadre national, avec peu de possibilités de peser au niveau local et une absence d’anticipation, qui conduit à faire de la santé une résultante et non un axe de préoccupation. Quant aux effets sur la santé, ils sont d’ordre physique et surtout mental.
Les études de cas réalisées en France par Secafi, à travers l’observation d’une direction régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi (Direccte) et la synthèse de 40 expertises lancées à la demande de CHSCT dans le secteur de la santé, confirment ces tendances, malgré des situations très diverses. Michel Agostini, directeur associé de Secafi, a souligné « le décalage en termes de valeurs, l’inquiétude, le sentiment d’impuissance, le malaise persistant, les risques psychosociaux » chez les agents de la Direccte ; et une « aggravation de la pénibilité du travail sous ses formes physiques (charge, fatigue, troubles musculo-squelettiques…) et psychosociales (perte du sens du travail, sentiment de moindre qualité du service rendu, tensions liées à l’organisation…) » chez les agents de l’hôpital public.
Mieux accompagner les restructurations
Comment dès lors rendre les réorganisations plus soutenables dans le secteur public ? Le rapport Hires pointe la responsabilité des employeurs publics en matière de transparence, d’équité face à un collectif très segmenté – les salariés précaires sont les premiers touchés – et de soutien à des travailleurs dont l’éthique est mise à mal. Outre le respect de ces principes, il préconise une préparation des processus de restructuration qui s’appuierait en particulier sur la formation des cadres, l’intégration de la préoccupation de la santé à chaque étape, le jeu du dialogue social et un accompagnement sous diverses formes.
« A travers les restructurations et leurs conséquences sur la santé, c’est le travail qui est interrogé, a déclaré Philippe Maussion, secrétaire fédéral de la CFDT, au nom des syndicalistes membres du groupe de travail Hires. Il importe de se demander comment la question est prise en charge, débattue, inscrite dans un cadre de négociation ; à partir de quoi on alimente le dialogue social ; et comment sont conduites, justifiées, évaluées les démarches. » Philippe Vorkaufer, animateur du groupe de travail CGT interfonctions publiques « santé et travail », note, comme plusieurs représentants syndicaux, que les situations de travail se tendent au quotidien et déplore que les employeurs continuent à être massivement dans le déni. « L’accord de 2009 a permis de franchir un pas qualitatif3, mais ses mesures sont loin d’être finalisées. Exemple : l’observatoire de la santé au travail des fonctionnaires n’a toujours pas vu le jour », s’est-il inquiété.
Du côté du ministère de la Fonction publique, on ne sous-estime pas les problèmes. « A la préoccupation de la santé dans la fonction publique fait écho la volonté de la ministre, Marylise Lebranchu, de reprendre à son compte l’accord de 2009 et de relancer la concertation pour le finaliser et ouvrir de nouveaux axes, au premier rang desquels la prévention des risques psychosociaux (RPS) », a souligné Nicolas de Saussure, sous-directeur à la direction générale de l’Administration et de la Fonction publique (DGAFP). Un guide méthodologique élaboré par Secafi serait utilisé à cet effet. « Il ne s’agit pas de diffuser un guide mais de lancer une vraie démarche nationale coordonnée et adaptée à la diversité », a poursuivi Nicolas de Saussure.
Des CHSCT renforcés ?
Mais d’autres problèmes demeurent. « Sur le terrain, les CHSCT ne fonctionnent pas, a ainsi rappelé Dominique Thoby de l’Unsa Education. Or ils sont importants pour sortir du traitement à chaud et pouvoir anticiper. » Pour le représentant de la DGAFP, « le rôle du CHSCT, et son pouvoir d’expertise, est un des sujets à ouvrir dans les premiers temps. Dans le cadre d’un projet ambitieux sur les RPS, on aura besoin de renforcer les acteurs, d’avoir un suivi, des indicateurs de résultat ».
La spécificité du service public et le fort attachement des salariés à sa qualité ont aussi été largement évoqués. « Il y a une grande souffrance des agents car les restructurations entraînent une perte de sens de leur mission », a indiqué Christine Dupuy, secrétaire nationale de l’Unsa. Encore un sujet à l’agenda de la ministre de la Fonction publique, qui souhaite, selon Nicolas de Saussure, « avoir un échange avec les organisations syndicales sur les valeurs du service public et la façon de redonner du sens au travail ».
Pour Claude-Emmanuel Triomphe, l’« un des mérites du rapport est de montrer que la question de la santé ne sera pas réglée par une démarche de santé au travail aussi performante soit-elle, mais requiert une démarche englobante ». Afin de favoriser une prise de conscience et élaborer un appui méthodologique permettant la prise en compte de la santé des personnes dans les réorganisations de services publics, ce dernier a lancé un appel aux bonnes volontés : responsables administratifs, experts en santé au travail, organisations syndicales… pour constituer un groupe de travail qui devrait livrer sa production mi-2013.
1. Association travail, emploi, Europe, société.
2. Ce document reprend les principaux résultats de la dernière enquête européenne Hires, financée par la direction générale Emploi de la Commission européenne et dont la première édition portait sur le secteur privé (lire « Vers une catastophe sanitaire ? », par Claude-Emmanuel Triomphe, Santé & Travail n° 67, juillet 2009). Astrees est le partenaire français de cette recherche, dans le cadre de laquelle le cabinet Secafi a réalisé des études de cas.
3. L’accord du 20 novembre 2009 sur la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique a étendu aux conditions de travail les missions des comités d'hygiène et de sécurité du secteur public, et acté la création de CHSCT dans toutes les collectivités de plus de 50 agents.