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La sécurité, une obligation intense de l’employeur

par Michel Miné, professeur du Cnam, chaire Droit du travail et droits de la personne, Lise/Cnrs/Cnam et avocat au barreau de Paris / 18 mars 2025

C’est l’un des piliers du système de prévention et de réparation des risques professionnels. A la croisée du droit du travail et du droit de la Sécurité sociale, l’obligation de sécurité s’est imposée récemment en droit français et est inscrite dans le Code du travail. Premier volet d'une série de deux chroniques sur cette notion que tout préventeur se doit de bien maîtriser.
 

Dans le cadre de la relation de travail salarié, l’entreprise tire profit du travail réalisé par les femmes et les hommes qu’elle emploie. En échange de la prestation de travail, l’employeur doit verser une rémunération. A cela s’ajoute aujourd’hui une autre obligation qui pèse sur l’employeur : il doit assurer la sauvegarde de la santé des travailleuses et des travailleurs qui œuvrent dans son entreprise pour son compte. Mais, quelle est la nature de cette obligation de sécurité de l’employeur ? 

Hier une obligation contractuelle…

Tout d’abord, dans un État de droit, les obligations juridiques découlent du contrat ou de la loi.
L’obligation de sécurité a d’abord été une obligation contractuelle. En effet, dans le cadre juridique de l’affaire de l’amiante et des célèbres arrêts « amiante » du 28 février 2002, la chambre sociale de la Cour de cassation a estimé qu’«en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié ». Mais, comme souvent, la jurisprudence a évolué et la Cour de cassation a considéré, depuis, que l’obligation de sécurité était une obligation légale découlant notamment du droit international et du droit européen.

…aujourd’hui une obligation légale

La nature légale de l’obligation de sécurité de l’employeur est affirmée depuis l’arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, 1er juin 2016, n° 14-19.702, PBRI, sté Finimétal. Publié au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation et à son Rapport annuel, ce texte fait jurisprudence au niveau le plus intense possible. 

Pour décider de la nature légale de l’obligation, les juges se sont appuyés sur plusieurs textes fondamentaux : 
-    La Constitution de l’organisation mondiale de la santé (OMS), tout d’abord, qui indique que « la possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale ».
-    La Directive européenne n° 89/391 du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, prévoit en son article 5 § 1 que pour préserver la santé des personnes, « l'employeur est obligé d'assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail ». L’employeur ne peut échapper à son obligation qu’en présence d’un cas de force majeure (art. 5 § 4) ; l’existence d’un cas de force majeure (involontaire, imprévisible et insurmontable) exonérant l’employeur de sa responsabilité étant admis de façon fort restrictive par le juge. Et le recours de l’employeur à des compétences extérieures à l’entreprise (art. 5 § 2) ou les obligations des travailleurs (art. 5 § 3) ne le déchargent pas de ses responsabilités.

« L’employeur doit prendre les mesures nécessaires »

Ensuite, une obligation de sécurité en droit peut être une obligation de résultat ou une obligation de moyens. Au départ, en février 2002, les magistrats de la chambre sociale avaient considéré que l’obligation de sécurité était une obligation de résultat. Ce qui signifie qu’en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, l’employeur n’avait pas satisfait à son obligation de sécurité. Mais depuis, là encore, la jurisprudence a évolué. 
Au fil des jurisprudences, les juges ont affiné leur position. Désormais, ces mesures nécessaires sont celles visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail, lesquels regroupent les principes généraux de prévention (lire encadré « Les principes généraux de prévention »). Par conséquent, quand il est saisi, le juge doit vérifier que l’employeur a effectivement mis en œuvre les mesures de prévention prévues légalement, dans l’ordre fixé par le Code du travail, de façon rationnelle, pertinente et adéquate, pour en assurer l’effectivité au bénéfice de ses destinataires : les travailleuses et les travailleurs concernés. 

CSE : rappeler à l’employeur son obligation de faire

Il convient, dans les différents lieux de négociation, d’information et de consultation dans l’entreprise – au premier chef au CSE –, de rappeler à l’employeur ses obligations, de l’alerter sur les manquements, de proposer des mesures pour faire cesser les atteintes et favoriser l’amélioration des conditions de travail. Et selon l’adage, « les paroles s’envolent, les écrits restent », il est important que ces rappels, ces alertes, ces signalements, ces propositions fassent l’objet d’écrits (courriels, PV de réunions, notamment du CSE, lettres recommandées, courriers d’alerte et de demande d’avis au service de prévention et de santé au travail, à l’inspection du travail, au service prévention de la Carsat…). 
Ces écrits seront utiles dans la construction d’une politique de prévention pertinente. Et, à défaut, dans le cadre de recours contentieux pour faire cesser des atteintes à la santé et pour obtenir des réparations, voire aboutir à des sanctions.
L’obligation de sécurité de l’employeur peut en effet entraîner des conséquences contentieuses devant plusieurs juridictions civiles : le Conseil des prud’hommes et le pôle social du tribunal judiciaire. La charge de la preuve est partagée entre le salarié et l’employeur. Ainsi, dans plusieurs arrêts de cassation, on peut lire qu’« il résulte de ces textes que, lorsque le salarié invoque un manquement de l'employeur aux règles de prévention et de sécurité à l'origine (d’une atteinte à sa santé), il appartient à l'employeur de justifier avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail ». Par conséquent, il lui appartient « de démontrer qu'il avait pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé du salarié » (Soc. 28 février 2024, n° 22-15.624, Soc. 3 juillet 2024, n° 23-13865, Soc. 16 octobre 2024, n° 23-16411, Soc. 15 novembre 2023, 22-17.733).

Devant les tribunaux

Enfin, on retiendra que l’obligation légale de sécurité de l’employeur est désormais une obligation solidement établie par la jurisprudence depuis 2016, retenue aussi bien par la chambre sociale concernant le contentieux prud’homal, la chambre civile relative au contentieux de la Sécurité sociale et par l’assemblée plénière de la Cour de cassation, soit le plus haut degré de juridiction français. Elle relève à la fois du droit du travail et du droit de la Sécurité sociale.


•    Le droit du travail concerne, pour l’essentiel, la prévention des risques professionnels et, parfois, la réparation de dégradations de la santé qui ne sont pas prises en charge par la Sécurité sociale. Ainsi, une décision de l’employeur relative à une nouvelle organisation du travail qui « était de nature à compromettre la santé et la sécurité des travailleurs concernés » est suspendue par le juge : en effet, au regard de l’obligation de sécurité de l’employeur, « il lui est interdit, dans l’exercice de son pouvoir de direction, de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés » (Soc. 5 mars 2008, Sté Snecma c/ Cgt).
Quand un salarié est devenu inapte à ses fonctions, les règles sur l’obligation légale de sécurité de l’employeur sont à mobiliser pour favoriser son maintien dans l’emploi au sein de l’entreprise, notamment dans le cadre du reclassement, et, à défaut, pour permettre une réparation indemnitaire adéquate. Ainsi, un salarié licencié pour inaptitude alors que cette dernière résulte d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, pourra obtenir le bénéfice d’un licenciement nul ou, à défaut, sans cause réelle et sérieuse devant le Conseil des prud’hommes.

•    Le droit de la Sécurité sociale concerne la réparation des conséquences des accidents du travail et des maladies professionnelles et à caractère professionnel, en s’appuyant notamment sur le régime de la faute inexcusable de l’employeur. Ainsi, « le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ». (Civ. 2ème, 29 février 2024, association Hôpital).
La reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, qui permet d’octroyer au salarié une indemnisation plus complète que la réparation de base en cas de reconnaissance par la Sécurité sociale du caractère professionnel de la maladie ou de l’accident, avec, à la clé, la réparation de différents préjudices, est de droit lorsqu'eux-mêmes, ou un représentant du personnel au comité social et économique, avaient signalé à l'employeur le risque qui s'est matérialisé (art. L. 4131-4).

Les principes généraux de prévention

Issus de la Directive européenne n° 89/391 du 12 juin 1989, les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail constituent les textes fondant l’obligation de sécurité. Par conséquent, ces articles méritent d’être bien compris au regard de la portée de l'obligation de prévention de l’employeur.  Ils affirment des obligations intenses de l’entreprise pour prévenir toute atteinte à la santé des travailleurs. Ces textes constituent aujourd’hui des points d’appui juridiques essentiels pour les préventeurs. 

Article L. 4121-1

L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels (…) ;
2° Des actions d'information et de formation ;
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.


Article L. 4121-2

L'employeur met en œuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Éviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Pour en savoir plus
  • "Le grand livre du droit du travail en pratique", par Michel Miné, Eyrolles, 31ème édition.

     

     

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