Sécurité renforcée pour les ramasseurs d’algues vertes
Les gaz toxiques dégagés par les algues vertes ont provoqué le décès d’un chauffeur-collecteur dans les Côtes-d’Armor en 2009, reconnu depuis en accident de travail. Désormais, les collectivités misent sur la prévention des risques, pour éviter de nouveaux drames : cabines pressurisées, capteurs d’hydrogène sulfuré…
Il y a d’abord eu la bande dessinée Algues vertes de la journaliste Inès Léraud, parue en 2019, puis le film sorti en salle le 12 juillet 2023. Mais bien avant ces deux récits sur les dangers liés à ces algues, cela ne se bousculait pas au portillon pour les ramasser sur les plages. Inoffensives quand elles sont fraîches, elles dégagent un gaz potentiellement mortel, l’hydrogène sulfuré (H2S), reconnaissable à son odeur d’œuf pourri, quand elles se putréfient au soleil. Leur prolifération en Bretagne, terre d’agrobusiness par excellence, est liée à la concentration de nitrates : ces dérivés azotés présents dans l’eau proviennent de l’épandage intensif issu des déjections des porcs et des volailles d’élevage.
« Un sujet sensible et dangereux »
Pour le ramassage des algues vertes, une seule entreprise a répondu à l’appel d’offres des communautés de communes du nord de la région, Saint-Brieuc Armor Agglomération et Lamballe Terre & Mer, parmi les plus pénalisées. La plupart des municipalités leur délègue cette tâche ingrate depuis 2011. Le patron de la SARL en question, Badouard Agri-TP, Antoine Balard, n’a pas envie de s’étendre sur la question : « C’est un sujet sensible et dangereux, on est pointé du doigt. Il y a dix ans, il n’y avait personne pour le faire. Depuis sept ans, nous avons les équipements qu’il faut pour le ramassage. » Et avant ? « Il ne vaut mieux pas en parler », lâche-t-il.
En 2009, Thierry Morfoisse, chauffeur d’un véhicule de ramassage d’algues d’une autre entreprise, meurt au volant. Il n’est équipé ni de masque, ni de cabine étanche, ni d’appareil de mesure de la toxicité de l’air. La journaliste Inès Léraud raconte le combat de sa famille pour faire admettre le caractère professionnel de son décès, finalement reconnu comme accident du travail en 2018. Elle contribue à briser l’omerta quant aux causes de la prolifération des algues vertes et à leur dangerosité.
« Le cahier des charges à respecter est assez conséquent et s’occuper des algues ne donnent pas envie », admet aussi François David, responsable du service en charge du dossier pour Saint-Brieuc Armor Agglomération (Côtes-d’Armor). Il estime à une dizaine de milliers d’euros le coût de l’équipement essentiel, en l’occurrence un engin de ramassage avec cabine pressurisée et à air épuré, doté d’une benne à vidage automatique. L’opérateur est ainsi censé être protégé de l’air extérieur, potentiellement saturé d’hydrogène sulfuré. « L’air qui entre dans la cabine est filtré dans un compartiment spécifique avec un filtre à charbon actif », précise Antoine Balard.
Travail en équipe
Au cas où, chaque opérateur est équipé d’un capteur d’hydrogène sulfuré placé près des zones respiratoires pour vérifier que le seuil d’alerte n’est pas dépassé. Le travail se fait en équipe pour éviter qu’un opérateur puisse se retrouver seul intoxiqué… Ce qui n’est pas censé arriver puisque « la collecte se fait uniquement sur algue fraîche, moins de 48 heures après l’échouage », précise François David. « Certaines années, au printemps, on se sent impuissant. Quand on voit arriver tôt les premières algues vertes, en mars, on se dit qu’elles auront davantage de temps pour se développer et que ça va être multiplié par 1000 ou 10 000 deux semaines après, témoigne-t-il. Si nous n’avons pas pu les ramasser à temps, comme cela a été le cas cette année sur certaines zones à Hillion, et que les algues ont commencé à pourrir, ces plages sont fermées et nous attendons l’hiver pour les enlever. »
Mickaël Cosson a été maire d’Hillion de 2014 à 2022, jusqu'à ce qu’il soit élu député (Mouvement démocrate et indépendant). « Les premiers échouages ont été observés dans les années 1960, rembobine-t-il. Dans les années 1980-1990, il n’y avait pas de ramassage. Mon beau père y allait avec sa pelle pour dégager le terrain et pouvoir entraîner ses chevaux dans la baie. » Puis le métier de ramasseur d’algues a émergé et la prévention a fini par se faire une place.
En tant que donneuses d’ordres, les communautés de communes sont responsables de la santé de ceux qui s’attèlent au ramassage en sous-traitance. A Saint-Brieuc Armor Agglomération, aucun accident du travail n’a été décompté depuis la mise en place du plan de prévention des risques élaboré avec la coordinatrice santé au travail en 2018. En période de ramassage, la communauté de communes missionne un agent pour suivre au quotidien sur le terrain la dizaine de salariés de la SARL Badouard Agri-TP, au gré du temps et des marées. Ils acheminent les algues vers une station de traitement des déchets située dans le département, à Lantic, où les gaz sont filtrés le temps que l’eau s’évapore.
Le reste de l’année, les chauffeurs de cette petite entreprise spécialisée dans les travaux agricoles aident dans les champs à semer et à moissonner. Une formation à la prévention des risques des algues vertes leur est dispensée chaque année par le centre d’étude et de valorisation des algues (Ceva). Quant au suivi médical, il est géré par la Mutualité sociale agricole. L’année 2023 a été moins affectée par le phénomène : début août, 2 600 tonnes d’algues avaient été ramassées. En moyenne, c’est 5 000 tonnes chaque année, mais cela peut monter jusqu’à 12 000 tonnes.
Des coûts pris en charge par l’Etat
Leur ramassage et leur traitement coûte 300 000 euros par an à la communauté de communes de Saint-Brieuc et entre 600 000 et 1,2 million d’euros en tout à la collectivité, selon les années et le climat : l’essentiel est pris en charge par l’Etat. En effet, ce dernier a bien été obligé de mener un plan de lutte contre les algues vertes : celui pour la période 2022-2027 prévoit que chaque exploitation située dans une zone sous contraintes environnementales atteigne des objectifs de réduction des flux d’azote arrivant aux cours d’eau d’ici à 2025. Pour l’heure, avec un modèle d’agriculture intensive qui demeure dominant, si la qualité de l’eau s’est améliorée, cela n’a pas suffi à enrayer la prolifération des algues.
Dans l’optique de limiter les échouages sur les plages, la préfecture des Côtes-d'Armor mène une expérimentation de ramassage d’algues au large, sans succès pour l’instant. « L’outil n’est pas encore au point », indique François David, de Saint-Brieuc Armor Agglomération. « L’idée serait de ramasser les algues l’hiver, quand elles sont encore dans la mer et n’ont pas encore grandi afin d’éviter que nos plages ne demeurent des décharges à ciel ouvert », commente le député Mickaël Cosson. A défaut de résoudre le problème à la source, l’objectif est de limiter les dégâts visibles, nocifs pour la santé… et le tourisme.