"Un silence assourdissant sur l'usage professionnel des psychotropes"

par Dominique Lhuilier psychologue du travail, professeure émérite au Conservatoire national des arts et métiers / avril 2017

"L'ouvrage Se doper pour travailler est issu d'une recherche dont le pari était de s'intéresser aux consommations de SPA [substances psychoactives] en milieu professionnel, en sortant de l'approche par l'addiction, d'où le terme de "dopage". Le projet s'attachait aux usages et à la façon dont les entreprises traitent la question. Nous avons rencontré des usagers de SPA, de métiers, catégories professionnelles et sexes différents, et trouvé, non sans difficulté - car le sujet reste tabou -, trois entreprises nous ouvrant leurs portes. Après trois ans de recherche, nous avons organisé un colloque, dont le livre réunit les contributions. Dès les années 1950, le rôle anxiolytique de l'alcool a été évoqué. Les usages ont changé du fait des transformations du travail. La France est le premier consommateur de médicaments psychotropes, mais il y a un silence assourdissant sur leur usage professionnel. Il faut actualiser la recherche sur les liens entre antidouleurs et troubles musculo-squelettiques, entre somnifères, anxiolytiques et burn-out. Mais il y a beaucoup de résistance à déplacer la question : du côté des entreprises, car cela les interpelle sur les conditions et l'organisation du travail, et de celui du monde de l'addictologie, très "médicocentré"."