© NATHANAËL MERGUI / MUTUALITÉ FRANÇAISE
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Sophie Prunier-Poulmaire ou la passion de l'ergonomie

par Nathalie Quéruel / janvier 2011

Instaurer un dialogue entre spécialistes du travail et artistes, mais aussi promouvoir son métier : telle était l'ambition de l'ergonome Sophie Prunier-Poulmaire en organisant, avec ses étudiants de l'université Paris 10, le festival " Lumières sur le travail ".

En ce jour frisquet d'automne, quatre étudiantes discutent devant un bâtiment du campus de l'université Paris 10, à Nanterre. Demain, elles se verront remettre leur diplôme de psychologie du travail et d'ergonomie. Mais ce n'est pas le sujet de leur échange animé : " Nous cherchons une idée de cadeau pour Mme Prunier-Poulmaire. " Sophie Prunier-Poulmaire, c'est leur prof, la responsable de la filière ergonomie de leur master professionnel et la femme énergique qui a entraîné ses élèves de la promotion 2009-2010 dans une aventure un peu folle : la création d'un festival de cinéma consacré au travail (voir encadré ci-contre). " S'il est besoin d'une preuve que Sophie est appréciée de ses étudiants, la voilà ! ", remarque Jean-Luc Mogenet, en charge du volet psychologie du travail du master, qu'il codirige avec elle. Joffrey Régent, un des diplômés, la qualifie de " mosofè " - " morceau de fer " en créole -, tant sa détermination l'impressionne : " De nombreuses fois, on s'est dit qu'on n'arriverait jamais au bout de ce projet démesuré qu'est l'organisation d'un festival d'une semaine, avec dix-sept films et plein de débats. Mais elle s'est toujours montrée très optimiste, nous encourageant. Elle aime les défis ! "

Regards croisés sur le travail

Malgré les grèves dans les transports en commun, près de 2 500 personnes ont assisté au festival de cinéma " Lumières sur le travail ", qui s'est tenu du 11 au 15 octobre dans un amphithéâtre de l'université Paris 10 (Paris Ouest Nanterre La Défense). Etudiants et classes de lycéens, médecins du travail et ergonomes, élus de CHSCT et syndicalistes, un public très varié a suivi les projections et les débats.

Ce sont les frères Lumière qui les premiers ont filmé le travail, plus précisément la sortie des employés de leur usine lyonnaise. Les cinéastes contemporains ne sont pas en reste pour interroger le monde de l'entreprise1 . La projection de leurs oeuvres a donc été l'occasion de creuser plusieurs thèmes : l'émergence de la souffrance au travail avec Sauf le respect que je vous dois, de Fabienne Godet, les effets des restructurations vus par Mathias Gokalp, auteur de Rien de personnel, la précarité via le récent film de Xabi Molia 8 fois debout, ou encore les modes de management décrits dans Riens du tout, réalisé par Cédric Klapisch, le parrain du festival. En tout, dix-sept films ont réuni à la tribune les réalisateurs et des économistes comme Philippe Askenazy, des sociologues comme Dominique Méda, des ergonomes comme Michel Berthet, ainsi que quelques comédiens et des salariés apportant leur témoignage.

De ces regards croisés ont émergé des discussions inédites, parfois un peu désordonnées, avec de la réciprocité, des oppositions, de l'analyse, de l'émotion aussi. Un cocktail assez vivifiant montrant que le travail est bien l'affaire de tous.

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    Voir Santé & Travail n° 69, janvier 2010, page 14.

" Des histoires réelles qu'il faut démonter "

A l'avant-dernier jour du festival " Lumières sur le travail ", qui s'est déroulé du 11 au 15 octobre, l'enseignante semble tout aussi fatiguée que l'ensemble de la promotion. Il ne lui reste qu'un filet de voix, ce qui ne l'empêche pas de parler : " Je suis bavarde !, reconnaît-elle en riant. Parler, transmettre, convaincre, c'est l'affaire de ma vie. " Une vie, confie-t-elle, irriguée par la passion de l'ergonomie, fruit d'une rencontre déterminante. A Avignon, la jeune Sophie - aujourd'hui la quarantaine - étudie les sciences du langage, l'information et la communication. L'actualité sociale l'intéresse et elle se voit bien devenir journaliste, un métier " où ça bouge et ça vit ". Un jour, elle assiste à un cours donné par l'ergonome Jacques Duraffourg1 . Une révélation : " J'ai posé mon stylo. Sa manière limpide de parler du travail, son analyse de l'activité, tout me parlait. J'ai alors su ce que je voulais faire : ergonome et rien d'autre. "

La Méditerranéenne monte à Paris, direction l'Ecole pratique des hautes études, où elle réalise son DEA sous la direction d'Antoine Laville, qu'elle considère comme son " père spirituel ". Son projet s'en trouve conforté : " Ce qui rend l'ergonomie passionnante, c'est son ancrage dans le concret, explique Sophie Prunier-Poulmaire. Et "l'objet travail" n'est jamais fixe ; l'approcher s'apparente à résoudre une énigme : il faut y aller avec plein d'interrogations pour comprendre ce qui s'y joue. Le travail, ce sont aussi des histoires réelles qu'il faut démonter pour aller vers la théorie. "

Après une thèse analysant " les effets des horaires atypiques sur la santé et la vie hors travail ", la jeune femme décroche en 2002 un poste d'enseignant-chercheur à l'université Paris 10. Elle aurait pu devenir consultante, mais la voie universitaire lui correspond bien. D'abord, parce que ses travaux de recherche - toujours sur le thème des effets sociaux de l'organisation temporelle des activités professionnelles - la mènent souvent sur le terrain. Et puis, elle aime enseigner, sans doute un héritage de son père, professeur de philosophie en lycée. Ceux qui l'entourent sont unanimes. Pour Jean-Luc Mogenet, qui la côtoie depuis son arrivée à Nanterre, " non seulement son envie de partager son savoir est immense, mais son charisme lui permet de très bien le faire. C'est une enseignante passionnée, qui ne fait pas les choses à moitié et dont le pouvoir de conviction est tel qu'il s'avère souvent impossible de lui dire non ! " Charles Gadbois, son directeur de thèse, est du même avis. " Sophie a une remarquable capacité à faire naître des vocations d'ergonome ", témoigne celui qui a sillonné la France avec elle, afin d'étudier les horaires de travail des brigades des douanes. Comme nombre d'étudiants, Joffrey Régent a " bu ses paroles " en cours : " Elle apporte beaucoup d'exemples concrets, tirés de ses recherches. J'apprécie son côté militant, qui défend le point de vue du travail. "

" Ergo... quoi ? "

Cette discipline, Sophie Prunier-Poulmaire entend la porter au-delà de l'enceinte de l'université. Elle s'agace, quand elle parle de son métier, de s'entendre parfois ré­pondre : " Ergo... quoi ? " Et elle déplore que, dans les débats sur le travail, soient invités à s'exprimer tous les experts (économistes, sociologues, psychologues, etc.), sauf les ergonomes : " Ils constituent pourtant une communauté de gens brillants, dont les travaux n'ont pas le retentissement mérité. "

Pour promouvoir l'ergonomie, la professeure s'est donc lancée dans des projets d'envergure plutôt originaux avec ses étudiants. L'idée ? Faire dialoguer les spécialistes du monde du travail et les artistes. Cela a donné, en mars 2009, l'exposition " Le travail révélé ", qui rassemblait 77 photos signées de grands noms du reportage, tel Raymond Depardon2 . Une expérience renouvelée avec " Lumières sur le travail ". Si elle se dit fière, c'est en raison du travail accompli par les étudiants et de la façon dont certains se sont révélés dans ce projet : " Quand quelque chose s'éclaire en eux, j'ai ce que j'attends. C'est une reconnaissance. Mon utilité, ce sont les étudiants qui me la renvoient... "

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    Jacques Duraffourg ainsi qu'Antoine Laville, cité plus bas, ont figuré parmi les piliers du laboratoire d'ergonomie du Conservatoire national des arts et métiers.

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    Voir dans Santé & Travail n° 66, avril 2009, page 50.