Soupçon de fraude à la Sécu : Michelin et les autres
Selon un récent reportage de TF1, Michelin dissimulerait les accidents du travail en faisant pression sur ses salariés. Une pratique en vogue dans les grands groupes industriels, selon notre enquête.
Pour de nombreux observateurs, les fraudes présumées sur les déclarations d'accident du travail à la manufacture de pneumatiques Michelin, montrées dans un reportage diffusé au journal de 20 heures de TF1 le 28 février dernier, ne sont pas un cas isolé. " C'est un sport national ", a dénoncé la Fnath (Association des accidentés de la vie) dans un communiqué. De fait, pour la branche maladie de la Sécurité sociale, le coût de la sous-déclaration s'élèverait à plus de 1 milliard d'euros. C'est ce qu'a estimé, dans son rapport triennal livré en juin 2011, la commission chargée d'évaluer le montant qui doit être reversé par la branche accidents du travail-maladies professionnelles à la branche maladie. Parmi les causes de sous-déclaration des accidents du travail repérées par les rapporteurs, on peut noter " les pressions sur les salariés ; l'accompagnement du salarié chez le médecin par une personne de l'entreprise et la prise en charge des soins par cette dernière ; les pressions sur les médecins de ville pour qu'ils n'accordent pas d'arrêt de travail au motif que le salarié va se voir proposer un poste aménagé ".
On retrouve la description de ces mêmes pratiques dans le document de signalement concernant Michelin qui a été envoyé par l'Inspection du travail du Puy-de-Dôme au procureur de la République et dont Santé & Travail a pu prendre connaissance : " Les déclarations concordantes de nombreux salariés font état d'interventions de la hiérarchie visant à dissuader les salariés d'effectuer librement leurs démarches auprès de leur médecin traitant et à se conformer à ses prescriptions. " Le parquet a ouvert une enquête préliminaire sur ces fraudes présumées, malgré les démentis de la direction de la firme auvergnate.
Stratégie " zéro accident "
Pour Philippe Saulnier, membre du collectif santé-travail de la CGT, " au-delà de quelques cas emblématiques, ces pratiques relèvent de la stratégie "zéro accident" des grands groupes industriels, qui organisent sur toute la ligne hiérarchique un système d'incitation-sanction pour ne pas déclarer les accidents du travail ou pour en minimiser les conséquences. Une pression qui est encore plus forte sur les sous-traitants ". Et le syndicaliste de citer quelques entreprises qui ont été prises " la main dans le sac, comme Renault Cléon, Arkema, Total, Endel, ou encore Veolia propreté ". Récemment, c'est le groupe Bouygues qui s'est fait épingler par l'Inspection du travail, pour un accident du travail dissimulé sur le chantier de construction de l'EPR, à Flamanville.
Interrogé sur les suites qu'il compte donner à l'affaire Michelin, afin de mettre fin à ces pratiques, le directeur des Risques professionnels de la Sécurité sociale n'a pas souhaité répondre à nos questions.