Statistiques : les chiffres inquiétants de l'inaptitude
Deux enquêtes régionales fournissent des indicateurs alarmants sur les conséquences sociales de l'inaptitude. Pathologies ostéoarticulaires et mentales compromettent le maintien dans l'emploi, notamment pour les salariés âgés.
C'est un homme de plus de 45 ans, ouvrier dans une PME. Il est arrêté depuis plus de trois mois pour une affection ostéoarticulaire, plus précisément une lombalgie. Ses chances, à terme, de conserver son emploi sont très minces. Tel est le portrait type du salarié inapte à son poste de travail, dressé à l'issue d'une enquête effectuée dans le Nord-Pas-de-Calais pour la quatrième année consécutive. Cette étude épidémiologique a été lancée à l'initiative de l'Institut de santé au travail du Nord de la France (ISTNF), en partenariat avec la direction régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi (Direccte) et l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph).
Caractéristiques sociodémographiques, pathologies déclarées, environnement professionnel, procédures, solutions mises en oeuvre : le dispositif d'inaptitude a été passé au crible. Les données ont été recueillies par des médecins du travail volontaires au moyen d'un questionnaire. En 2010, 1 985 documents de suivi d'inaptitude et 455 questionnaires spécifiques au maintien dans l'emploi ont été exploités, grâce à la participation de 152 médecins du travail sur les 374 que compte la région. Cette description du " standard " de l'inaptitude n'a rien de surprenant, tant elle correspond aux résultats provenant d'autres études de même nature. En Aquitaine, une enquête, conduite en 2005 et 2006, relève les mêmes caractéristiques, hormis le fait que les femmes étaient majoritairement concernées. Mais la féminisation de l'inaptitude progresse très régulièrement dans le Nord-Pas-de-Calais, les femmes représentant, en 2009, 48 % des salariés déclarés inaptes.
Troubles mentaux : une forte proportion de jeunes
Dans l'enquête nordiste, les maladies du système ostéoarticulaire (lombalgies, troubles musculo-squelettiques...), relevées dans 47 % des cas, demeurent la principale cause de l'inaptitude. Viennent en deuxième position les troubles mentaux et du comportement (24 %), qui incluent, selon les auteurs de l'étude, les pathologies liées à la souffrance au travail. Trois catégories professionnelles concentrent deux cinquièmes des déclarations d'inaptitude pour troubles mentaux : les employés du commerce, les personnels administratifs des entreprises et ceux des services directs aux particuliers. Mais un des indicateurs les plus préoccupants est, ici, celui de l'âge. En effet, parmi les travailleurs inaptes en raison d'atteintes psychiques, la proportion de salariés jeunes est relativement élevée : 53 % sont âgés de moins de 45 ans (5 % ont moins de 24 ans, 19 % entre 25 et 34 ans, 29 % entre 35 et 44 ans), alors qu'ils représentent 33 % des cas dans les autres pathologies.
Deux grandes " vagues " d'inaptitude se dessinent. L'une, résultant d'une usure professionnelle sur une longue période, se caractérise par des pathologies du système ostéoarticulaire affectant essentiellement les salariés plus âgés. L'autre, que les auteurs de l'étude nordiste relient aux risques psychosociaux, est plus instantanée et frappe les salariés de tous les âges. " Mais contrairement aux personnes dont l'inaptitude est physique et physiologique, les salariés concernés par les problématiques de santé psychique ont plus de capacités à retrouver un emploi, souligne le Pr Paul Frimat, président de l'ISTNF. Malheureusement, nous savons bien que, au final, cela se traduit encore généralement par la perte de l'emploi. " L'étude précise même que ces salariés conservent moins souvent un emploi dans l'entreprise, en comparaison avec les personnes atteintes de maladies ostéoarticulaires.
Eviter l'inaptitude
Pour l'ensemble des salariés déclarés inaptes, le niveau de maintien dans l'emploi demeure très bas. Dans plus de neuf cas sur dix, la décision d'inaptitude reste suivie d'un licenciement. Si, par la suite, certaines personnes entrent en formation (13 %) ou sont mises en invalidité Sécurité sociale (33 %), la plupart pointent à Pôle emploi (40 %). Le diagnostic effectué en Aquitaine a dressé le même constat : si on exclut les retraits d'activité, les départs sans solution concernent 43 % des salariés inaptes. Pour les médecins du travail aquitains, l'inaptitude pourrait être évitée dans 16 % des cas, lorsqu'il existe un conflit entre le salarié et l'employeur, que les contraintes sont organisationnelles ou liées à la pression mentale. Surtout si l'origine de l'inaptitude est d'ordre professionnel. " Cet échec peut être empêché par le développement de la prévention, le recours à des tiers médiateurs et l'identification précoce des situations à risque ", souligne Catherine Dalm, médecin-inspecteur régional.
Dans les facteurs favorisant le maintien dans l'emploi, la visite de préreprise joue un rôle important. " Cette visite, qui intervient alors que le salarié est encore en arrêt maladie, permet de mobiliser l'ensemble des partenaires relativement tôt pour pouvoir encore agir et organiser collectivement une prise en charge de la personne en difficulté. Nous nous attachons à renforcer ce dispositif ", insiste Paul Frimat. Mais cette visite ne pourra pas tout régler, notamment le cas des salariés les plus âgés. Dans le Nord-Pas-de-Calais, les plus de 55 ans représentent un quart des effectifs inaptes, alors qu'ils ne constituent que 9 % de la population salariée régionale. Dans un contexte de vieillissement de la population et d'allongement de la durée de vie professionnelle, le problème du maintien dans l'emploi ne peut que s'amplifier.