La surveillance du cancer de l’amiante toujours menacée
Malgré les propos rassurants du gouvernement, victimes de l’amiante et professionnels de santé constatent que, sur le terrain, le dispositif de surveillance du mésothéliome est en cale sèche. Ils demandent une réunion de toutes les parties prenantes.
« Depuis l’annonce par Santé publique France de l’arrêt de la surveillance du mésothéliome, je ne contacte plus, depuis le 1er janvier 2024, les nouveaux patients diagnostiqués que les médecins de Seine-Maritime me signalent. » Cette intervention de Blandine Wurtz, attachée de recherche au CHU de Rouen et chargée de la surveillance épidémiologique dans le cadre du Programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM), a fait l’effet d’une douche froide au congrès national des victimes de l’amiante, à Rouen, le 24 mai dernier. Elle contredisait les propos rassurants du gouvernement sur l’avenir du PNSM.
Jusqu’à la fin de l’année 2023, Blandine Wurtz rencontrait les malades atteints d’un cancer de la plèvre pour retracer avec eux leur parcours professionnel et remplir un questionnaire adressé à un centre d’expertise de Bordeaux dans le but de caractériser leur exposition à l’amiante. Conséquence immédiate pour les malades de l’amiante diagnostiqués depuis le début de l’année, « ils n’ont plus d’information systématique sur les possibilités d’indemnisation en maladie professionnelle et auprès du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva) », poursuit Blandine Wurtz.
Fin du programme en 2025
Le 21 décembre, Santé publique France annonçait, dans un mail adressé à une trentaine de spécialistes de ce cancer, la fin du Programme national de surveillance des mésothéliomes (PNSM) en 2025 et une diminution de son budget dès 2024. Elle indiquait aussi renoncer au déploiement du Dispositif national de surveillance des mésothéliomes (DNSM). Le DNSM devait élargir cette surveillance à l’ensemble de l’hexagone et aux départements et régions d’outre-mer et collectivités d’outre-mer (au lieu de 21 départements), ainsi qu’à tous les types de mésothéliomes (et non plus seulement ceux de la plèvre). Alors que les patients nouvellement diagnostiqués de tous les départements français devaient bénéficier, comme en Seine-Maritime, d’une enquête pour analyser finement les sources d’exposition et d’une information sur l’indemnisation, ce n’est désormais le cas pour aucun d’entre eux.
« Aujourd’hui, 27 % des malades ne sont indemnisés ni par la Sécurité sociale ni par le Fiva. C'est énorme, explique Alain Bobbio, secrétaire national de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante et autres maladies professionnelles (Andeva). Ce phénomène massif de non-recours aux droits est préoccupant. Il ne fera qu’augmenter si le PNSM est supprimé ou "poursuivi" en mode dégradé. » La disparition du dispositif suscite des réactions d’associations de malades, de médecins et de chercheurs d’autant plus vives que, au lieu de régresser depuis l’interdiction de l’amiante en 1997, l’incidence de ce cancer demeure stable : 1 000 à 1 100 cas de mésothéliomes continuent d’être diagnostiqués chaque année.
Les femmes en première ligne
Par ailleurs, le corps médical assiste à une augmentation nette du nombre de femmes touchées, ce qui pourrait laisser augurer d’un accroissement de l’effet des faibles doses d’exposition, environnementales ou professionnelles. « C’est une tendance lourde qu’il faut analyser pour savoir si elle va perdurer et pour l’anticiper, estime Arnaud Scherpereel, professeur de médecine au CHU de Lille et président de l'International Mesothelioma Interest Group (iMig), la société scientifique mondiale du mésothéliome. Il n’est pas acceptable de casser le thermomètre que représente le PNSM. Par ailleurs, il participait à hauteur de 30 % du budget de la certification des cas de mésothéliomes par le programme Mesopath1
. Or, ce programme joue un rôle important dans la prise en charge des patients, ainsi que dans leur indemnisation auprès du Fiva. »
Le 6 février dernier, le député Renaissance du Finistère Didier Le Gac, président du groupe d’études amiante de l’Assemblée nationale a demandé à Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités, « de bien vouloir procéder à l’annulation de cette décision et de dégager les ressources humaines et financières pour améliorer et pérenniser le dispositif de surveillance du mésothéliome en France ». Le 25 avril, Frédéric Valletoux, ministre délégué en charge de la santé et de la prévention, a répondu qu’« il n’est nullement envisagé de renoncer à cette surveillance qui apporte des éléments de connaissance et d’aide à la décision indispensable à la mise en œuvre des politiques de santé publique en la matière ». Soulignant la « priorité » qu’elle constitue, il a précisé qu’un « nouveau protocole de surveillance sera disponible en 2024 ».
Une initiative universitaire
Des réponses non satisfaisantes pour Alain Bobbio. « Le budget est déjà réduit pour Mesopath, l'avenir des enquêtes médico-sociales n'est pas garanti. Malgré la priorité affichée, aucune ligne financière n’a été ajoutée à notre connaissance. Nous sommes dans une grave incertitude », souligne-t-il. Dans un document daté du 29 mars que Santé & Travail a pu consulter, les professeurs des universités - praticiens hospitaliers (PUPH) Jean-Claude Pairon, responsable du service des pathologies professionnelles au centre hospitalier intercommunal de Créteil, et Patrick Brochard, responsable du service de médecine du travail du CHU de Bordeaux, signent une « proposition de poursuite de la surveillance du mésothéliome en France ». Dans ce texte dense, ils reviennent sur le mésothéliome, cancer au « pronostic sombre », le bilan du PNSM de 1998 à 2022, ainsi que sur les perspectives. Ils soulignent qu’il est « important de poursuivre en France le développement d’un programme ambitieux de surveillance et de recherche autour du mésothéliome, de façon analogue à ce qui se fait dans d’autres pays ».
L’Andeva a profité de son congrès national au cours duquel une table ronde a réuni plusieurs experts de la maladie, dont le professeur Arnaud Scherpereel, pour voter une motion demandant au gouvernement de « réunir en urgence tous les acteurs du DNSM, gravement menacé ». Une demande également soutenue par les professionnels de santé présents à Rouen. Pour l’association, « le dispositif de surveillance du mésothéliome doit se poursuivre avec le budget et les ressources humaines adéquats mais, compte tenu de la dynamique inquiétante de la maladie, le DNSM doit se développer ».
- 1Réseau d'expertise anatomopathologique et de recherche sur les tumeurs de la plèvre