Les syndicats remontés contre le report du compte pénibilité
En cédant aux menaces patronales de boycott de la conférence sociale, le Premier ministre a fâché très fort les organisations syndicales sur un sujet sensible : le compte pénibilité. Son report partiel ainsi que les lacunes du dispositif sont très critiqués.
L’annonce de Manuel Valls publiée le 1er juillet dans Les Echos a fait l’effet d’une bombe dans le milieu syndical. Déjà quasi soldé lors des négociations (voir Santé & Travail n° 87, juillet 2014), le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) est encore ajourné d’un an… du moins partiellement. Parmi les dix facteurs de pénibilité, seuls quatre donneront droit aux salariés du secteur privé exposés d’engranger des points sur leur compte pour se reconvertir, travailler à temps partiel ou partir plus tôt à la retraite dès le 1er janvier 2015, comme prévu initialement. Il s’agit du travail de nuit, du travail répétitif, du travail posté en équipe et du travail en milieu hyperbare, soit, en somme, les critères qui ne nécessitent pas de mesures complexes. Ceux-ci concernent « un million de salariés », a estimé François Hollande lors de son discours d’ouverture de la conférence sociale, le 7 juillet. Même pas un tiers des travailleurs du privé pourraient donc bénéficier du dispositif, puisque le ministère du Travail avait évalué leur nombre à 3,3 millions en septembre 2013.
« Les salariés du BTP sont écœurés »
Pour ceux exposés aux six autres facteurs – la manutention manuelle de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques, les agents chimiques dangereux, les températures extrêmes et le bruit –, il faudra attendre le 1er janvier 2016. La marche arrière a été conduite brutalement, sans avertir les syndicats. « Pour les [entreprises, ndlr] plus petites, et notamment dans le secteur du bâtiment, notre décision a suscité un grand soulagement et elle favorisera la bonne mise en œuvre du dispositif », a déclaré le Premier ministre. Pourtant, les entreprises savent déjà calculer et prévenir certains facteurs, comme le bruit ou le port de charges lourdes, « depuis plus de cinq ans », assure Henri Forest, secrétaire confédéral de la CFDT. « Les salariés du BTP sont écœurés », commente-t-il.
Le Medef, l'UPA et la CGPME étaient justement réunis le soir même de l’annonce choc pour décider ou non de leur participation à la troisième conférence sociale de l’ère Hollande. Résultat, ce sont la CGT et FO qui ont pratiqué la politique de la chaise vide lors du deuxième jour de discussion, le 8 juillet. « En colère », Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière, a affirmé qu’« il suffit que le patronat éternue pour que le gouvernement lui apporte sa boîte de mouchoirs ». La CGT considère aussi que « le Medef a pesé de tout son poids pour imposer des dispositions a minima ». Pour la CFDT, la pilule est difficile à avaler. Cela fait deux ans que la confédération appuie les réformes du gouvernement, et en particulier la loi sur les retraites, justement parce qu’elle comportait ce volet permettant d’épargner les salariés les plus exposés à la pénibilité. Laurent Berger, son secrétaire général, a demandé à ce que ces décrets « sortent très très vite, pour qu’il n’y ait plus de remise en cause possible de nulle part ». Ils se font toujours attendre et la crainte que « cette réforme devenue réformette soit quasi mort-née et qu'elle continue de se délayer », exprimée par Jean-Marc Bilquez, de FO, est partagée par l'ensemble des syndicats, qui « n'ont plus confiance », selon lui.
« Les quinquagénaires désavantagés »
« Les salariés les plus âgés, qui devaient en bénéficier dès 2015, ne pourront pas, car le dispositif demande l’exercice d’une année civile entière », déplore, dépité, Henri Forest. « Les quinquagénaires étaient déjà les désavantagés de ce compte pénibilité, puisqu’ils n’ont pas pu accumuler des points tout au long de leur carrière », renchérit Annie Jolivet, chercheuse au Centre d’études de l’emploi. En effet, malgré les demandes des syndicats, Michel de Virville, conseiller-maître à la Cour des comptes, n’avait rien lâché. Le gouvernement lui avait confié la mission d’établir le mode d’emploi du compte pénibilité pour préparer la rédaction des décrets d’application. Son document final, rendu le 10 juin, prévoyait seulement que, pour les plus de 59 ans et demi, « la réserve de points pour la formation ne [soit] pas appliquée et l’acquisition des points se [fasse] à un rythme doublé ».
Dans la foulée de la déclaration du report partiel de Manuel Valls, Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, a tenté de temporiser en avançant de 59 ans et demi à 58 ans et demi l’âge à partir duquel les points acquis au titre de la pénibilité serait doublés, pour compenser la non-rétroactivité du dispositif. « En réalité, elle y a été forcée. Dans la première version des décrets qui nous a été présentée, l’âge de 58 ans et demi était indiqué, mais c’était une erreur, une simple coquille », grince Henri Forest. La CFE-CGC, elle, regrette dans un communiqué que « la pénibilité psychique, au travers notamment des facteurs relevant des risques psychosociaux et du stress professionnel, [ne soit] pas prise en considération ».
« Cadeau au patronat »
Michel de Virville, dans un souci de simplifier « l’usine à gaz » tant décriée par le patronat, avait accordé un délai de six mois supplémentaires aux entreprises pour se mettre dans les clous, via leur déclaration aux Carsat du compte pénibilité pour chaque salarié, qui devait être effectuée d'ici au 1er juin 2015 pour la première année d'application. Et le gouvernement avait déjà, selon Jean-Marc Bilquez, « fait un premier cadeau au patronat », qui criait au surcoût fiscal du compte pénibilité, en exonérant de cotisation les employeurs en 2015 et en la divisant par dix pour 2016 et 2017. Pour financer un dispositif qui, depuis son inscription dans la loi de réforme des retraites de 2013, n’a cessé de se dégonfler.