Tableau sur le burn-out : une fausse bonne idée ?

par Anne-Marie Boulet / avril 2014

La création d'un tableau de maladies professionnelles sur le burn-out, proposée par le cabinet Technologia, va-t-elle doper la prévention des atteintes psychiques liées au travail ou limiter leur prise en charge ? Les avis divergent.

Epuisement professionnel, dépressions, suicides : les atteintes psychiques liées au travail sont de plus en plus nombreuses. Et malgré des dispositifs légaux en place depuis 2008, la prévention des risques psychosociaux (RPS) peine à décoller. Technologia, cabinet d'expertise CHSCT spécialisé dans la prévention de ces risques, a créé en février un buzz médiatique en lançant un appel pour la création d'un tableau de maladies professionnelles dédié au burn-out. "Il faut faire bouger les choses, justifie Jean-Claude Delgènes, fondateur et directeur général de Technologia. Les maladies psychiques au travail en France, ce sont 64 reconnaissances en 2010, et 94 en 2011. On est loin du compte." Pour ce dernier, la création d'un tableau, en facilitant la reconnaissance d'atteintes psychiques, ferait avancer leur prévention.

3 millions de personnes potentiellement exposées

Dans une enquête menée par ses équipes, le cabinet avance le chiffre de 3 millions de personnes en activité potentiellement en risque de burn-out. Un phénomène touchant toutes les catégories professionnelles, même si certaines, du fait d'un engagement relationnel important, ont une réputation de "toxicité" plus avérée : professions sociales et médicales, téléconseil, enseignement... Si l'appel de Technologia a enregistré quelque 5 000 signatures, il a également suscité des réactions critiques. De la part des organisations patronales, voyant là l'ouverture de la boîte de Pandore, à savoir des reconnaissances massives et coûteuses. Mais aussi de la part d'associations, syndicats ou médecins.

Pour Brigitte Font Le Bret, psychiatre à Grenoble et experte auprès du tribunal des affaires de Sécurité sociale (Tass), la reconnaissance de l'origine professionnelle d'atteintes psychiques ne passe pas forcément par la création d'un tableau : "D'autres outils existent, telles les déclarations en accident du travail. Mais je crois qu'il faut d'abord développer l'information des médecins, afin qu'ils déclarent beaucoup plus de maladies hors tableau, les former à la clinique du travail, et inciter les médecins psychiatres à devenir experts auprès de la Sécurité sociale. Sans doute faudrait-il aussi revoir le mode de fonctionnement des C2RMP [comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles, NDLR]

En outre, le burn-out, décrit précisément dès les années 1970, est loin de couvrir tout le spectre des atteintes psychiques liées au travail. Le syndrome d'épuisement professionnel, comme on le dénomme en France, est évolutif et tridimensionnel. Il débute par un épuisement émotionnel. S'ensuit une période de dépersonnalisation, au cours de laquelle le sujet développe des attitudes impersonnelles, voire négatives et cyniques envers son entourage. Survient alors un manque d'accomplissement personnel : la personne déprécie ses compétences, entraînant une forte diminution de l'estime de soi et, souvent, une décompensation d'ordre dépressif. D'où l'image anglo-saxonne d'une bougie qui se consume de l'intérieur : le burn-out. Pour autant, le burn-out n'est pas considéré comme une pathologie spécifique et n'est donc pas inscrit dans le DMS4, répertoire officiel des maladies mentales et psychiques.

"D'après mon expérience, parmi les dossiers nous arrivant au C2RMP, nous voyons quelques burn-out, mais surtout des dépressions dues à d'autres causes, ou bien des états de syndrome post-traumatique, déclare Nicolas Sandret, médecin-inspecteur régional et membre du C2RMP d'Ile-de-France. Environ un dossier sur deux est reconnu en maladie professionnelle. Il est vrai que cela varie pas mal d'un comité régional à un autre et, parfois, selon qui y siège." C'est pourquoi l'idée d'un tableau est plutôt bien accueillie. Cela permettrait une reconnaissance moins aléatoire selon les secteurs, plus aisée aussi, car, devant le C2RMP, le demandeur doit faire la preuve du lien essentiel entre le travail et sa pathologie. Avec un tableau, la présomption d'imputabilité évite cette démonstration, en général compliquée. Mais le fait de limiter ce tableau au seul burn-out semble réducteur.

"Si demain le burn-out est reconnu en maladie professionnelle, les signataires de l'appel risquent d'être déçus, car cela ne concernera que très peu de personnes", estime ainsi Michel Lallier, président d'AsdPro, association d'aide aux victimes de risques psychosociaux. "Technologia alerte, mais sa proposition reste très simpliste par rapport aux travaux du Conseil d'orientation sur les conditions de travail", relève pour sa part Marie Pascual, médecin du travail et représentante de la CFDT à la commission n° 4 du Coct. Depuis plusieurs mois, cette commission réfléchit à faire évoluer les choses concernant la reconnaissance des atteintes psychiques liées au travail. Représentants du patronat et des salariés ont réussi à se mettre d'accord sur trois grands types de pathologies : les dépressions, les anxiétés généralisées et les états de stress posttraumatiques. Le burn-out n'y figure pas en tant que tel, car il est assimilé aux dépressions. "Il ne faut pas faire l'économie de la complexité de ces questions, et nous avons à réfléchir activement à ce que devient le travail", ajoute Marie Pascual, en précisant que la réflexion se concentre maintenant sur les facteurs déclenchant ces pathologies.

Et les conséquences physiques ?

"Ajouter l'épuisement professionnel à la liste du Coct, pourquoi pas ?, rebondit Alain Carré, médecin du travail et représentant de la CGT au sein de la même commission. Mais il est difficile à intégrer dans un seul tableau. Il s'agit plutôt d'un regroupement de signes. Néanmoins, la création d'un tableau pour prendre en charge les effets des RPS me paraît non seulement faisable mais souhaitable." Ce praticien déplore que la commission se contente de donner des recommandations aux C2RMP pour accroître le nombre de dossiers reconnus et qu'elle se limite à prendre en compte les seules conséquences psychiques des violences subies au travail. "Les atteintes peuvent être également physiques, avec des problèmes cardiovasculaires, des troubles musculo-squelettiques ou du métabolisme", décrit-il.

La démarche de Technologia présente une autre limite, selon ses détracteurs. "Le débat sur les conditions de travail doit être investi par tous, considère Max-André Doppia, anesthésiste-réanimateur au CHU de Caen et porte-parole du syndicat SNPHAR-E1 . Des collectifs revivifiés - syndicats, CHSCT -, des lieux pour débattre sur la qualité du travail sont la meilleure prévention du burn-out. C'est à nous, salariés ou travailleurs indépendants, de nous réapproprier notre travail. C'est le meilleur antidote au burn-out. Ce n'est pas simplement en le reconnaissant qu'on va le supprimer." Sauf que cette profession, particulièrement exposée au burn-out, ne dispose pas de CHSCT. "A l'hôpital, nous n'avons pas de CHSCT accessibles aux praticiens hospitaliers pour aborder leurs conditions de travail, dénonce le syndicaliste. Le déni existe jusque-là !"

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    Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi.

En savoir plus
  • L'appel du cabinet Technologia se trouve sur son site www.technologia.fr ou sur www.appel-burnout.fr