Toujours plus vite, plus fort, plus longtemps !

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François Desriaux rédacteur en chef
/ avril 2019

Depuis la mi-mars, on assiste à un véritable concours Lépine du recul de l'âge de la retraite. Comme si les ministres et les responsables politiques s'étaient donné le mot pour faire tourner en bourrique ce pauvre Jean-Paul Delevoye. Chacun y est allé de sa petite phrase, mettant le haut-commissaire à la réforme des retraites en porte-à-faux vis-à-vis des partenaires sociaux, avec lesquels il essaye de pacifier le débat pour bâtir un projet de refonte du système... sans toucher à l'âge minimum de départ fixé à 62 ans, comme s'y était engagé le président de la République.

C'est la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, qui a ouvert le bal en affirmant le 17 mars dernier qu'elle n'était pas hostile à un report de l'âge de départ. Puis les poids lourds de la majorité lui ont emboîté le pas : 63, 64, 65 ans même ! Qui dit mieux ? A l'Elysée, on a fait savoir que, finalement, cette idée d'un report de l'âge de départ était bien envisageable. Pourtant, à en croire le Comité de suivi des retraites, financièrement, le système n'est pas gravement menacé. Et même, vers 2035, quand prendront fin les effets du baby-boom, la progression des dépenses de pensions va se ralentir...

C'était compter sans le grand débat et le souhait exprimé par les Français d'être mieux couverts pour le risque dépendance. Quand on sait que le besoin de financement de ce risque s'élève à 9 milliards d'euros et que le recul d'un an de l'âge de la retraite en rapporterait, affirme-t-on, 10 milliards, l'équation a été vite trouvée. Comme quoi il y a des promesses qui ont la peau plus dure que d'autres. Ainsi, celle de raboter le compte personnel de prévention de la pénibilité faite aux patrons a mieux tenu que celle de ne pas toucher à l'âge de départ en retraite faite aux syndicats. Chacun appréciera. Mais, du point de vue de la santé au travail, l'inverse eût été plus cohérent.

Tout d'abord, le recul de l'âge minimum de départ en retraite est une mesure socialement injuste, car elle pénalise essentiellement les salariés qui ont commencé à travailler plus jeunes. Ce sont souvent eux qui ont exercé les métiers les plus pénibles ; alors qu'ils ont l'espérance de vie la plus courte, ils devront travailler plus longtemps.

Ensuite, si cette proposition de recul de l'âge légal a la faveur du Medef, force est de constater que les employeurs, eux, hésitent à embaucher des "vieux". Stars mondiales de la productivité horaire, les entreprises françaises n'ont pas fait l'effort de leurs voisines d'Europe du Nord pour améliorer les conditions de travail et les rendre supportables pour des salariés vieillissants, ou pour développer la formation à tout âge et favoriser ainsi les reconversions professionnelles réussies. Or travailler toujours plus vite, toujours plus fort et désormais toujours plus longtemps, c'est incompatible. Un salarié sur deux qui liquide ses droits à la retraite n'est plus en emploi. Il est au chômage - souvent en raison de son état de santé -, en inaptitude, voire en invalidité, ou bien au RSA.

Tant que pouvoirs publics et entreprises ne parviennent pas à permettre à tous les seniors de travailler dans de bonnes conditions, il est socialement inacceptable de chercher à reculer encore l'âge de départ.