Tour d’horizon sur les cancers professionnels
Un récent colloque sur les cancers professionnels, organisé à Avignon, a permis de faire un bilan de leur prise en charge, des facteurs de risques à prendre en compte, des avancées et perspectives en matière de prévention, mais aussi des reculs.
Expositions aux toxiques, prévention, réparation, retour en emploi, invisibilité du risque… Tous ces sujets ont été débattus les 9 et 10 juin dernier, lors d’un colloque sur le thème « Travail et cancers », à Avignon (Vaucluse). Les organisateurs – Association française de droit du travail, Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle du Vaucluse ou Giscop 84 et université d’Avignon – avaient réuni une quinzaine d’intervenants experts et une centaine de participants, chercheurs, médecins, enseignants, étudiants...
Côté expositions, Caroline Vanuls, chercheure et enseignante à l’université d’Aix-Marseille, a souligné l’interdépendance entre les risques professionnels et environnementaux et leurs possibles conséquences cumulatives sur la santé. Elle a illustré ce « risque mixte » avec l’exemple de l’épandage de pesticides dans les exploitations agricoles, susceptible de provoquer des cancers parmi les travailleurs du site mais aussi parmi les riverains et les salariés d’entreprises proches. Dans celles-ci, rappelle-t-elle, le CSE peut demander à entendre le chef de l’entreprise source de la nuisance et doit être informé des suites données à ses observations.
Le concept de l’exposome
Dans le même esprit, Henri Bastos, directeur scientifique santé-travail à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), a explicité le concept d’exposome, proposé en 2005 par l’épidémiologiste Christopher Wild afin d’intégrer l'ensemble des expositions environnementales et professionnelles tout au long de la vie. L’exposome, selon Henri Bastos, « relance le débat sur la reconnaissance en maladie professionnelle des pathologies multifactorielles, comme les cancers ». « Il faudrait plus de données des entreprises pour assurer la traçabilité des expositions individuelles et collectives », a-t-il ajouté, se félicitant de l’obligation prochaine d’archivage numérique des documents uniques d’évaluation des risques professionnels (DUER), censés exister dans toutes les entreprises. Un groupe de travail sur l’exposome, rattaché au conseil scientifique, a été créé au sein de l’Anses, afin d’étudier notamment la question de la polyexposition à des toxiques, présente dans de nombreuses situations de travail.
Au cours du colloque, justement, l’équipe du Giscop 84 a évoqué la polyexposition de travailleurs à au moins trois cancérogènes. Celle-ci a été relevée chez 75 % des 309 malades du cancer dont le parcours professionnel a été reconstitué par le groupement, depuis 2017. Le caractère professionnel du cancer a été reconnu pour seulement 16 des patients suivis, soit 5 %. Un chiffre à comparer aux quelque 1 800 cancers reconnus annuellement d’origine professionnelle, soit moins de 0,5 % des 400 000 cancers annuels recensés. Et cela alors que 2 à 3 millions de travailleurs au minimum sont exposés de manière habituelle à des cancérogènes. « Le plus souvent sans protection », précise Moritz Hunsmann, chercheur au CNRS et co-directeur du Giscop 84. Pour lui, mettre fin à l’invisibilité des cancers professionnels est une urgence de santé publique : « L’enjeu est d’identifier les expositions, afin d’améliorer l’accès à la réparation et contribuer à la prévention par l’élimination des dangers sur les lieux de travail. »
Pas de prévention sans réglementation
Cette question de la prévention a été traitée par Annie Thébaud-Mony, sociologue de la santé et cofondatrice du Giscop 93, en Seine-Saint-Denis. Dans son intervention, celle-ci a listé les reculs récents de la réglementation, qui contribuent à invisibiliser davantage les risques, comme la suppression des CHSCT, des fiches d’exposition individuelles aux produits cancérogènes et de l’attestation d’exposition. Or l’absence de preuve d’une exposition au risque rend presque impossible la reconnaissance d’une maladie professionnelle, comme l’a souligné plus tard Me Nadine Mélin, avocate au cabinet TTLA.
Lors d’une table ronde portant sur « les instruments et les acteurs », qui a réuni des universitaires, syndicalistes, avocats, un médecin du travail et une assistante sociale, Me Nadine Mélin est revenue sur le combat mené par les verriers de Givors pour faire reconnaître l’origine professionnelle de leurs pathologies. Elle a cité une décision de justice obtenue devant un tribunal des affaires de Sécurité sociale, confirmée par la cour d’appel de Lyon et en cassation : la reconnaissance du fait qu'une polyexposition multiplie les risques de développer un cancer à un âge précoce. François Dosso, ancien mineur et militant CFDT aux Houillères de Lorraine, fermées en 2004, a relaté pour sa part les nombreux combats menés avec son syndicat pour la reconnaissance des risques et maladies professionnels. « Nous nous sommes mobilisés pour faire appliquer et évoluer la réglementation, par l’intervention dans les instances représentatives du personnel, par des actions collectives, des grèves, des recours en justice, pour contrer des risques aux effets différés jusqu’à plusieurs dizaines d’années », a-t-il témoigné. Au tableau de chasse de l’équipe cédétiste : la reconnaissance du préjudice d’anxiété obtenue de haute lutte pour 747 anciens mineurs, qui ont été exposés à différents toxiques. Une belle victoire, bien qu’un peu amère, compte tenu du nombre de mineurs décédés prématurément faute de prévention.