" Un traitement collectif du stress s'impose "
Epidémiologiste spécialiste du stress, Michel Niezborala s'est appuyésur son expérience de médecin du travail pour corédiger Travaillersans dérouiller. Selon lui, la souffrance au travail, à débattre au seinde l'entreprise, n'est pas une fatalité.
Vous venez de publier un livre portant sur la souffrance au travail. Quels facteurs de mal-être constatez-vous en qualité de médecin du travail ?
Michel Niezborala : Citons la peur du licenciement et du chômage. Ainsi que les difficultés à concilier les objectifs de productivité, de qualité, de flexibilité et les changements incessants de savoirs, de matériels, de hiérarchie, de procédures... Certains métiers ont complètement changé. Par exemple, tout employé de banque qui agissait comme conseiller technique neutre a dû se transformer en commercial, avec une part de rémunération proportionnelle aux produits placés, ce qui n'est pas sans lui poser des problèmes éthiques. Ailleurs, les grandes orientations fixées par l'entreprise se heurtent à la réalité du terrain, prenant le management intermédiaire en sandwich. De plus, le collectif de travail s'étiole, en raison de la diversité des statuts, de la fixation d'objectifs individuels, voire de la mise en concurrence des salariés. Les nouveaux modes de management prétendent donner de l'autonomie aux salariés, mais ils les isolent en ne leur garantissant aucune marge de manoeuvre en termes de délais ou de moyens. Les objectifs fixés ne sont pas toujours réalistes, atteignables et négociés. Et le salarié doit arbitrer seul entre productivité et qualité. Ce ne sont pas les salariés qui souffrent de dysfonctionnement, mais le système. Le stress devrait être le premier indicateur de l'état de l'entreprise.
Votre livre est paru dans une collection intitulée " Déclic de soi ". Est-ce à dire que vous proposez aux salariés, en guise de réponse au stress, de renforcer leur propre capacité à y faire face ?
M. N. : Non, bien au contraire ! Tout repose sur une prise de conscience de la direction. Le médecin du travail peut y contribuer en tirant la sonnette d'alarme avec des indicateurs sur la souffrance au travail. L'analyse de la situation, à faire entreprise par entreprise, suppose la participation de tous : ergonome, psychologue du travail, médecin du travail, opérateurs, responsable qualité, responsable production, directeur des ressources humaines. Les résultats doivent être discutés collectivement, de préférence au sein du CHSCT, qui peut jouer un rôle de pilote. Il faut arriver à construire un compromis, lequel peut nécessiter un changement d'organisation qu'il faudra accompagner, expliquer et conduire. Des études ont montré que les actions collectives sur l'organisation du travail s'avèrent plus efficaces que les actions individuelles du style stages de gestion du stress. Un numéro vert ou un observatoire des conditions de travail permettent de prendre la température, mais n'expliquent pas l'origine du mal qui ronge les salariés. En revanche, le CHSCT peut intervenir s'il est saisi de faits précis montrant la dimension collective du malaise. Et, s'ils l'estiment nécessaire, les élus du CHSCT peuvent décider d'une expertise sur l'organisation du travail pour mieux comprendre les raisons de ce malaise.
Le bien-être au travail est-il encore possible ?
M. N. : Les salariés ont besoin de s'approprier leur travail, d'y trouver un sens, au minimum celui du travail bien fait. Faute d'avoir pris suffisamment en compte la dimension humaine et la reconnaissance du travail, des entreprises peuvent rencontrer des difficultés de recrutement ; l'hôtellerie-restauration en offre l'exemple. Mais aujourd'hui, le stress touche tellement de salariés et d'entreprises qu'un traitement collectif s'impose. Certains managers irréductibles risquent de continuer à ignorer le lien entre le mal-être et un travail intenable, notamment ceux qui ont recours à des personnels peu qualifiés. Cependant, le plus grand nombre va chercher à concilier les objectifs de l'entreprise et ceux des salariés.