Un tram plus ergonomique à Clermont-Ferrand
Victimes de troubles musculo-squelettiques, les traminots de Clermont-Ferrand exigeaient depuis des années le réaménagement de leur cabine de conduite, mal conçue. Une demande satisfaite, au terme d'un effort de coconstruction entre tous les acteurs.
Ce ne fut pas une lune de miel idyllique. Nous avons connu des hauts et des bas, il a fallu ferrailler pendant treize ans, mais nous avons finalement été écoutés." C'est avec fierté que Claude Desmarie, secrétaire CGT du CHSCT des Transports en commun de Clermont-Ferrand (T2C), résume les nombreuses années de discussions ayant abouti à la modification du poste de conduite des tramways circulant dans les rues de la capitale auvergnate. "Nous sommes arrivés à faire prendre en compte les conditions de travail pour coconstruire une nouvelle cabine de conduite avec la direction de l'exploitant du tram, les élus de la ville et le constructeur", précise le responsable syndical. Le tramway de Clermont-Ferrand est relativement récent, puisqu'il entre seulement dans sa douzième année d'existence. Il a néanmoins engendré dès sa mise en circulation des problèmes de santé au travail chez les traminots.
Au début, un choix symbolique a été fait par le Syndicat mixte des transports clermontois (SMTC) : celui d'un tram sur pneus. L'influence de Michelin, sans doute. Le choix tient aussi à l'avantage d'un rayon de giration plus court que celui d'un tram sur rails, ce qui est plus pratique pour le centre-ville de la capitale auvergnate. Cette technologie, jusque-là, n'avait été retenue nulle part ailleurs. Une première, donc. "Quand on fait de l'innovation de rupture, on fait des erreurs, c'est clair", affirme Benoît Chauvin, pour le Groupement des autorités responsables de transport (Gart). "Nous en prenions pour trente ans, et ce choix technologique n'était pas argumenté, renchérit Claude Desmarie. Et puis, il n'y a pas eu de dialogue entre l'autorité organisatrice [le SMTC, NDLR] et les salariés." Autre choix discuté et discutable, mais cette fois du fait du constructeur, à savoir Lohr Industrie, racheté par Alstom en 2012 : celui d'un tramway relativement étroit (2,2 mètres de large), avec par conséquent une cabine conducteur étroite elle aussi. Soit moins d'espace pour la conduite, avec néanmoins autant de gestes à accomplir.
Inquiets, les élus du comité d'entreprise (CE) de T2C réclament dès 2003 une première expertise, confiée à Robin Foot, ingénieur de recherche au Laboratoire techniques, territoires et sociétés (Latts), associé à l'Ecole nationale des ponts et chaussées. Les premières alertes concernant des répercussions sur la santé sont données. D'emblée, le rapport souligne que les contraintes posturales pour toutes les personnes en dehors du gabarit standard (plus grands, plus gros...) risquent d'altérer leur santé physique. Des problèmes de champ de vision sont aussi repérés, et la conception même de la console de commande est jugée potentiellement pathogène. Notamment le système de veille automatique à contrôle de maintien d'appui ou Vacma, également appelé "système de l'homme mort" (voir "Repère").
15 000 appuis par jour
"C'est vrai que, au début, nous n'avons travaillé avec les personnels qu'à partir d'une maquette, reconnaît Tarik Chbicheb, directeur général de T2C. Et le choix du constructeur était fait." Le dirigeant de T2C admet volontiers qu'"on n'en était pas alors à prendre les salariés et les remarques du Latts très au sérieux". Une attitude qui va changer avec la mise en exploitation du tram et l'apparition, rapide, de problèmes de santé. "Huit troubles musculo-squelettiques reconnus comme maladies professionnelles en moins de cinq ans, je n'avais jamais vu cela auparavant, confie encore Tarik Chbicheb. Chez les conducteurs de bus, nous n'en avions pas." En 2010-2011, une étude de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) achève de convaincre l'employeur que divers éléments contribuent à l'apparition de ces TMS. Elle pointe le problème de la Vacma, qui nécessite quelque 15 000 appuis du conducteur dans la journée ! Elle confirme également ce que constatait depuis des années Rémi Gigoux, contrôleur de sécurité à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) Auvergne : l'aménagement global de la cabine, le siège qui ne permet pas à tout le monde d'être à l'aise à son poste et la rétrovision trop basse sont autant d'éléments à rectifier.
Malgré tous ces éléments alarmants, rien ne change. La direction de T2C est convaincue qu'il y a bien un problème de santé grave, mais le SMTC ne veut rien entendre. Pis, il envisage de confier la gestion du réseau à la RATP pour ne plus entendre parler des questions de conditions de travail. En 2011, un long conflit oppose les salariés à la décision de l'autorité organisatrice de "délocaliser" la gestion. Finalement, le SMTC renonce à ce projet. T2C devient alors une régie sous la forme d'un établissement public industriel et commercial (Epic). Sa direction est maintenue. La question du travail et de la conception du poste peut enfin être posée.
18 conducteurs testeurs
Dans la foulée, un comité de pilotage est créé en 2014, chargé de mener à bien les transformations de la cabine. Robin Foot et Laurène Elwert, du cabinet d'expertise 7 Ergonomie, y participent en tant qu'assistants à maîtrise d'ouvrage (AMO). Ce comité de pilotage est une instance singulière dans le monde du tramway. Les AMO sont engagés par le SMTC ; la poursuite de cet engagement est conditionnée par le maintien du CHSCT dans le processus. Dix-huit conducteurs testeurs, volontaires, ont collaboré aux travaux de réflexion sur les aménagements à apporter. Et ils les ont testés chez le constructeur, avant adoption ou non. Laurène Elwert expose la méthode : "Afin de nous assurer au maximum que les propositions tenaient la route et apportaient vraiment un plus, nous avons fait appel aux personnels de conduite pour constituer un petit panel très représentatif des différents gabarits de conducteurs."
En janvier dernier, les traminots clermontois ont convié leurs collègues des autres grandes villes à venir partager le fruit de leur expérience et leur faire découvrir le résultat de leur action : la rame numéro 22, une rame de pré-série avec cabine modifiée, sur laquelle tous les conducteurs du réseau défilent pour la tester en exploitation commerciale. "Nous avons simplifié la console de conduite, en partant du principe que trop d'informations tue l'information", indique Laurène Elwert. Regroupés selon leur fonction, les boutons de commande du nouveau pupitre sont à présent en nombre limité au strict nécessaire. "Cette décomposition entre éléments de confort d'un côté et éléments de sécurité d'un autre, c'est bien plus simple que s'ils étaient tous amalgamés", remarque Brigitte Benoît, conductrice qui a participé à l'évolution du poste de conduite.
Au final, outre le pupitre de commande clarifié et la porte de cabine conducteur qui s'ouvre désormais vers l'extérieur, la Vacma a été transformée en dispositif de veille pouvant s'actionner de deux manières différentes. Les rétroviseurs intérieurs ont été mis en hauteur pour être dans le champ de vision du conducteur ; de plus, des miroirs de quai permettent de vérifier ce qui se passe durant les arrêts. Autant d'éléments modifiés ou ajoutés.
Où s'arrêter dans les transformations ? Cette question est revenue souvent lors de la journée de janvier. "Chacun avait ses impératifs, financiers ou de sécurité, à la fois pour les conducteurs et les passagers, raconte Laurène Elwert. Une fois un élément réglé, on en découvrait souvent un autre. Nous nous sommes limités à ce qui nous paraissait fondamental. Il y a eu des concessions de part et d'autre. Cependant, sur certains aspects, nous nous sommes montrés très fermes."
"Un plus pour tout le monde"
La méthode clermontoise est-elle exportable ? Elle a convaincu nombre de participants des autres réseaux de trams, pour la plupart des conducteurs. Elle devrait, pour partie, être monnaie courante pour ce qui est de la prise en considération des conditions de travail en amont, avant achat, voire avant la conception de matériel. "Un plus pour tout le monde", disent, chacun à sa manière, le représentant syndical Claude Desmarie et, pour la régie exploitante, Tarik Chbicheb.
"Il semble difficile d'envisager que chaque réseau modifie des choses de son côté, conclut Robin Foot. C'est irréalisable au vu des coûts financiers. En revanche, une coopération entre les institutions nationales des transports urbains et les représentants des conducteurs serait sans doute possible pour travailler en amont sur la conception des postes de conduite, pour tous."