" Transférer un pouvoir de sanction aux inspecteurs du travail "
Spécialiste du droit pénal du travail, Elisabeth Fortis est professeure à l'université Paris 10-Nanterre, dont elle dirige le centre de droit pénal et de criminologie.
Quels sont les facteurs qui contribuent à rendre inopérant le droit pénal du travail ?
Elisabeth Fortis : En premier lieu, le nombre des agents de contrôle de l'Inspection du travail est clairement insuffisant au regard du nombre d'entreprises à contrôler, de textes et de salariés concernés. En moyenne, une entreprise est contrôlée par l'Inspection du travail tous les sept ou huit ans. Compte tenu de cette disproportion entre le corps de contrôle et le champ de contrôle, le système ne peut être effectif. Les moyens de répression ne semblent pas cohérents par rapport aux enjeux sociaux.
Que pensez-vous du taux de classement des procès-verbaux rédigés par les inspecteurs du travail ?
E. F. : Même si les choses commencent à bouger, force est de constater que le droit pénal du travail n'est pas prioritaire pour les parquets.
Les procureurs généraux choisissent leurs priorités en fonction des instructions de la chancellerie, favorables aux chefs d'entreprise. Il existe très peu de directives de la chancellerie concernant le champ de la santé et de la sécurité au travail. Il ne faut pas non plus sous-estimer la surcharge des parquets, lesquels ont de plus en plus d'affaires à traiter.
Le durcissement des sanctions serait-il un moyen valable de rendre le droit pénal du travail plus effectif ?
E. F. : Les peines pour des délits sont d'une façon générale minorées dans le monde du travail, que ce soit en matière de harcèlement sexuel, de discriminations ou de non-respect des obligations de sécurité. La volonté est de ne pas trop inquiéter les chefs d'entreprise.
Pourtant, si l'on prend l'exemple de la sécurité routière, l'augmentation constante des peines a été efficace pour diminuer le nombre des accidents graves. L'augmentation des sanctions pécuniaires en droit pénal du travail pourrait certainement être dissuasive pour les employeurs, mais encore faudrait-il que les juges suivent. Les peines encourues sont déjà faibles, les peines appliquées par les tribunaux le sont encore plus.
Une des pistes à envisager pourrait être de transférer un pouvoir de sanction aux inspecteurs du travail, afin de contourner l'institution judiciaire. Les agents de contrôle recouvreraient directement les sanctions pécuniaires auprès des entreprises. Seules les affaires les plus graves seraient alors instruites par les tribunaux. Plutôt qu'augmenter les peines par principe, il faut à mon avis régler le problème de leur mise en oeuvre.