Le travail à mort

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François Desriaux rédacteur en chef
/ juillet 2019

Ça craque de partout ! A l'hôpital, dans la police, à la SNCF, parmi les agriculteurs, ou encore chez Technip, on se suicide beaucoup. Beaucoup trop. Alors que se déroule le procès pour harcèlement moral mettant en cause France Télécom et sept de ses anciens dirigeants, un esprit chagrin relèverait que tous les décès survenus il y a dix ans chez l'opérateur téléphonique n'ont pas servi de leçon. Aucun enseignement n'en a été véritablement tiré pour prévenir l'apparition de ces situations de travail, modes de management et organisations délétères qui poussent au désespoir. Désespérant.

Le même esprit chagrin aura du mal à considérer que tout cela est la faute de ce "capitalisme devenu fou", selon les mots d'Emmanuel Macron à la tribune de l'Organisation internationale du travail, qui fêtait son centième anniversaire à Genève. Non pas que le président de la République ait eu tort sur les conséquences sociales et politiques désastreuses de la dérive libérale et financière de l'économie, ni sans doute dans sa volonté d'établir un "ordre public social", mais parce que cela ne suffit pas. Sans attendre le Grand Soir, il devient urgent de s'attaquer enfin et avec détermination à ce travail qui perd la tête et qui la fait perdre au point que la seule issue entrevue par certains est de mettre fin à leurs jours.

Pour cela, on ne part pas de zéro. Depuis la fin des années 2000, où cette question du suicide lié au travail s'est imposée dans l'espace public, les connaissances sur les facteurs psychosociaux de risque ont été bien établies. A commencer par ceux identifiés par le groupe d'experts piloté par Michel Gollac : intensité et temps de travail, autonomie, exigences émotionnelles, rapports sociaux, souffrance éthique, insécurité économique. Autant de pistes à explorer pour mettre en oeuvre une stratégie de prévention ambitieuse.

Ensuite, le procès France Télécom est assez éclairant sur certains mécanismes malsains, encore à l'oeuvre dans nombre d'entreprises. C'est notamment le cas du court-circuitage des dispositifs de prévention et d'alerte. Rendre la détection des problèmes de santé au travail inopérante, museler les acteurs de prévention ou les détourner de leur mission originelle permet aujourd'hui aux prévenus de se dédouaner de leurs responsabilités et de prétendre qu'ils ne savaient pas vraiment. On verra à l'heure du verdict si les magistrats sont tombés dans le panneau ou si cela constitue une circonstance aggravante.

Enfin, et c'est probablement exacerbé en France, nos modes de management et d'organisation du travail sont archaïques et génèrent autant de souffrance au travail qu'ils constituent un handicap pour la compétitivité. France Stratégie et le Conseil national de productivité déplorent le retard hexagonal dans les aspects humains du management : autonomie des salariés, encadrement des managers, organisation du travail. Le management participatif, l'encouragement de la coopération, la régulation de l'activité, l'appui au travail sont pourtant des clés pour la prévention des risques psychosociaux. Plus que jamais, c'est la qualité du travail et pas seulement la qualité de vie au travail qu'il faut viser.