Le travail échappe à un dialogue social nourri par le Covid
La crise sanitaire aura-t-elle enfin mis le travail au cœur des discussions entre partenaires sociaux dans les entreprises ? Si certains acteurs notent des progrès en la matière, d’autres regrettent au contraire une occasion ratée pour les CSE.
Une « intensification du dialogue social », qui a « prioritairement » porté sur l’organisation du travail. C’est, selon l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), au moins l’un des éléments positifs qui peut être tiré de la crise sanitaire. Selon son enquête, menée au début de l’année auprès de 1415 représentants de personnels et d’employeurs et publiée fin mai, 77 % des partenaires sociaux ont discuté de leur plan de continuité d’activité ; 70 % d’entre eux ont abordé les adaptations dans l’organisation des équipes ; 67 % ont déterminé les modalités du télétravail.
La prévention des risques n’a pas été négligée : 62 % des acteurs se sont intéressés, ensemble, à la santé des personnes vulnérables, tandis que 47 % d’entre eux ont réévalué les risques professionnels et mis à jour leur document unique d’évaluation des risques. « La nécessité de prévenir le risque biologique tout en assurant la poursuite de l’activité a contraint les entreprises à traiter de l’organisation du travail », commente Nadia Rahou, chargée de mission et pilote du projet Dialogue social à l’Anact.
Les CSE en première ligne
« Globalement, les CSE n’ont pas été ignorés, et les élus ont plutôt l’impression d’avoir été écoutés. Ils ont fait l’expérience d’un dialogue social plus informel », constate Paul Motte, chargé de mission santé, sécurité et conditions de travail au cabinet d’expertise Syndex. « Les directions et les représentants du personnel se sont parlé toutes les semaines. Les sources de conflits classiques ont été mises de côté, face à un virus qui venait de l’extérieur », analyse François Cochet, directeur des activités santé au travail chez Secafi.
Délégué syndical central (DSC) Force ouvrière et secrétaire du CSE au sein du groupe Saur, un acteur de la gestion de l’eau, Frédéric Buonafortuna confirme une attention inédite de la part de la direction. Il a pu participer aux réunions et cellules de crise. « Les moindres dysfonctionnements étaient réglés dans l’heure », relate-t-il. DSC Force ouvrière chez Renault Trucks, Olivier Repessé rapporte aussi une plus grande écoute, liée au contexte du déconfinement qui imposait d’obtenir l’avis du CSE sur le protocole de reprise. « Ça s'est très bien passé car la direction voulait faire revenir les salariés », ajoute-t-il.
Pourtant, l’ergonome Bernard Dugué estime que la pandémie a été, dans la plupart des entreprises, une « occasion ratée » de traiter davantage des questions du travail. « Les échanges entre les employeurs et les salariés ont été très descendants, plutôt sur un mode de diffusion que de co-construction des mesures », observe l’enseignant-chercheur à l'Institut polytechnique de Bordeaux. « Les directions ont défini des mesures hygiénistes qui ne prenaient que rarement en compte la nature du travail », relève-t-il.
Parapluie juridique pour les employeurs
C’est ce qu’a constaté Nicolas Peyrot, élu CFTC au CSE central du prestataire de transports et logistique XPO. « La direction se protégeait juridiquement mais elle n’a pas adapté le protocole aux activités et n’a pas évalué les risques en fonction des métiers », regrette-t-il. Il a fallu un rapport d’expertise pour convaincre l’employeur d’affiner davantage les modalités du déconfinement. Si certaines demandes, comme le nettoyage accru des locaux, ont été satisfaites, reconnait le syndicaliste, « on aurait aimé qu’ils desserrent certaines contraintes, comme le port du masque en extérieur pour les personnels roulants, qui accentue les risques de malaise en cas de fortes chaleurs ou de basses températures ».
Selon un sondage réalisé par l'Ifop pour le cabinet Syndex entre janvier et février 2021, 65 % des représentants du personnel estiment que les conditions de travail constituent un sujet prioritaire. 63 % d’entre eux souhaitent ainsi privilégier les questions de santé et les risques psychosociaux (RPS). Pourtant, « les risques psychosociaux ont fait l’objet de très peu d’échanges, y compris quand les élus mettaient le sujet sur la table », constate Paul Motte.
Consultant spécialisé en responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et membre du think tank Terra Nova, Martin Richer observe que seuls 5 % des accords collectifs signés en 2020 dans les entreprises ont traité des conditions de travail. « Ce chiffre me surprend car la crise a bouleversé les collectifs de travail et le travail vécu ». Changement massif, le télétravail aurait pu être abordé de manière plus fine, à ses yeux : « En analysant les métiers télétravaillables et non les tâches au sein de ces métiers, on a raté de belles négociations. »
Retour des enjeux économiques
Malgré une intensification des échanges, seuls 8 % des représentants du personnel interrogés dans l’étude Syndex estiment que le dialogue social sortira amélioré de la crise sanitaire. 36 % jugent même qu’il va se détériorer. Déléguée syndicale centrale CFDT de Stellantis (groupe automobile issu de la fusion PSA-Fiat), Christine Virassamy constate que la crise a fini par reléguer la qualité de vie au travail (QVT) derrière les enjeux économiques. « On devait entamer l’an dernier une discussion autour des expérimentations QVT, comme le prévoyait notre accord. La direction a totalement mis ce sujet de côté », regrette-t-elle. Pour elle, la parenthèse de « co-construction » des protocoles sanitaires, qui s’est produite il y a plus d’un an au pic de la pandémie, est maintenant révolue.