
Travail et handicap, le modèle gagnant de l'université de Bordeaux
En six ans, le taux d’emploi de personnes en situation de handicap à l’université de Bordeaux a plus que doublé. Le fruit d’une stratégie volontariste en partenariat avec le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP).
Née en 2014 de la fusion de trois établissements, l’université de Bordeaux s’est dotée dès l’année suivante d’un schéma directeur Handicap (SDH). Mais sa stratégie d’intégration des personnes en situation de handicap n’a réellement décollé que trois ans plus tard avec la conjonction de deux facteurs : « D’abord, en 2018, l’arrivée de Nathalie Constant à plein temps au poste de correspondante handicap », se souvient Eric Dugas, professeur des universités et chargé de mission handicap depuis 2014. Le mi-temps précédemment affecté à ce poste ne permettait pas de réellement mettre en œuvre les engagements du SDH à l’échelle d’une université de 52 000 étudiants employant 6 300 agents sur 18 campus. Deuxième étape : la convention d’objectifs et de moyens financiers signée en 2021 avec le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la Fonction publique (FIPHFP) qui « nous a permis de tenir des engagements forts en matière de recrutement, de reclassement et de maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap.» De seulement 3 % en 2018, le taux d’emploi de personnes en situation de handicap à l’université de Bordeaux a ainsi atteint 6,6 % en 2024.
Un budget dédié et une équipe pluridisciplinaire
Mais la stratégie seule n'aurait pas suffi. « Il fallait avoir les moyens de la mettre en oeuvre », insiste Eric Dugas. Les moyens, c’est d’abord une équipe pluridisciplinaire : Nathalie Constant peut s’appuyer sur le service de santé au travail de l’université (deux médecins du travail, une psychologue et une ergonome), deux assistantes sociales chargées d’accompagner les agents dans le montage de leur demande de Reconnaissance de la qualité de travail handicapé (RQTH), une référente handicap, une assistante et une alternante. C’est aussi un budget financé à parité : tout euro versé par le FIPHFP est abondé par l’université. C’est enfin un réseau de 41 ambassadeurs qui font office de « porte d’entrée pour les agents désireux de s’informer sur la prise en compte du handicap, explique Nathalie Constant. Ce sont des volontaires qui sont outillés, formés et détenteurs d’une lettre de mission reconnaissant l’intérêt collectif de cette activité à laquelle est dévolue 10 % de leur temps de travail. »
La question des moyens est cruciale : les aménagements de poste prennent du temps et peuvent coûter cher. Prenons le cas d’une enseignante-chercheuse que des troubles sévères de l’audition avaient fini par éloigner de son poste. « En arrêt maladie, elle a été orientée vers notre équipe par la médecine du travail, relate Nathalie Constant. Nous nous sommes fait accompagner par l’Institut régional des sourds et aveugles (Irsa) de Bordeaux pour adapter la salle de cours en l’équipant de panneaux acoustiques et de micros déportés qui renvoient les voix vers ses prothèses auditives tout en filtrant les bruits ambiants. Aujourd’hui, elle peut de nouveau enseigner à temps complet et se projeter dans le métier qu’elle a choisi. C’est tout de même plus positif - humainement et financièrement - qu’un arrêt maladie de longue durée !»
Un recrutement adapté
Ces aménagements ne sont pas encore assez demandés par les personnes en situation de handicap qui ont trop souvent pris l’habitude de s’adapter, de compenser : « Cette suradaptation peut générer de la fatigabilité ou des pluripathologies qui n’ont rien à voir avec le handicap de départ », regrette Eric Degas, convaincu que les personnes en situation de handicap ont intérêt à le déclarer pour bénéficier des droits afférents : « A nous de leur montrer par des actes qu’ils ne seront ni stigmatisés ni pénalisés dans leur carrière. »
Le handicap est aussi pleinement intégré à la politique et aux actions de recrutement de l’Université. « Cela nous permet d’aller au-delà des recrutements “fléchés handicap” du ministère de l’enseignement supérieur », poursuit Nathalie Constant. Environ 30 % des 380 agents bénéficiant d’une reconnaissance de leur handicap sont des contractuels qui bénéficient des mêmes droits et du même accompagnement que les agents d’Etat alors qu’ils ne restent souvent qu’un ou deux ans (six au maximum) : « C’est un choix politique qui, au regard de ce turnover, mobilise beaucoup de moyens, observe Eric Degas. Mais n’oublions pas qu’en fin de carrière, un agent sur deux aura connu le handicap. Or, je suis convaincu que la non prise en compte du handicap coûte aussi très cher à notre société, et freine l'inclusivité sociale et professionnelle.»
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