Travail mortel

par
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François Desriaux rédacteur en chef
/ octobre 2016

Cet été, le procureur de la République de Paris a demandé le renvoi devant le tribunal correctionnel, pour harcèlement moral ou complicité, de sept anciens dirigeants de France Télécom. Ils devraient donc rendre des comptes à la justice sur la vague de suicides qui a frappé l'opérateur téléphonique lors d'un plan de restructuration. Pour la première fois, on devrait avoir un procès pénal mettant en cause, non pas un petit chef tyrannique, mais les dirigeants d'une entreprise du CAC 40 qui avaient mis en place un management intentionnellement délétère. Au-delà du symbole, on peut attendre de ce procès et des magistrats qu'ils tracent une ligne blanche en matière de gestion des ressources humaines et condamnent certaines méthodes "dures", organisées, visant tout à la fois à maltraiter les collaborateurs pour qu'ils démissionnent, ou soient plus rentables, et à court-circuiter tous les signaux d'alerte sur les dégâts produits. Car notre enquête1 montre que, dès le début de la restructuration, les médecins du travail, les CHSCT et leurs experts, les organisations syndicales avaient tiré la sonnette d'alarme. Et que toutes ces alertes ont été méthodiquement écartées, niées ou dévalorisées.

Cet été, cinq infirmier(ère)s se sont suicidé(e)s. Pendant que le monde politique s'excitait sur le burkini, des professionnels du soin mettaient fin à leurs jours, parfois sur leur lieu de travail ou en laissant des lettres pointant la dégradation de leurs conditions de travail. La situation n'est pas comparable à celle de France Télécom, même si le harcèlement moral est présenté comme étant à l'origine de certains de ces suicides. Pour autant, là aussi, depuis plusieurs années, les alertes sur la dégradation des conditions de travail à l'hôpital, sous l'influence de l'austérité budgétaire et, maintenant, de la restructuration inscrite dans la loi Touraine, se sont multipliées2 . Interpellée, la ministre de la Santé s'est dite préoccupée et a annoncé un plan à l'automne. Toutefois, au vu des mesures déjà prises sur les risques psychosociaux à l'hôpital depuis 2012, on peut craindre que celles à venir ne soient pas à même de changer le travail des équipes soignantes. Or c'est bien le travail, ce qu'il est devenu sous le joug des logiques budgétaires, qui pose problème. D'abord, la charge de travail n'est plus supportable physiquement pour nombre de soignants. Ensuite, les logiques budgétaires n'ont pas tenu compte du travail réel des équipes soignantes, des imprévus, des complications... Alors, il leur faut sans cesse courir, se dépêcher, travailler dans l'urgence pour rattraper ce que la rationalisation a oublié. Enfin, pour pouvoir tenir la cadence, les agents finissent par devoir renoncer à ce qui fait sens dans le fait de s'être engagés dans ces métiers du soin. Ne plus prendre en charge un malade mais traiter juste sa maladie fait mal. Les connaissances scientifiques indiquent que cet abandon est coûteux psychiquement. Et cela se décline aussi chez les enseignants, les policiers, les gardiens de prison ou encore les agents de Pôle emploi...

Un travail plus humain, moins mortel, dans le public comme dans le privé, voilà un bon thème de campagne électorale... On a bien le droit de rêver un peu, non ? #

  • 1

    Voir les pages 6 à 9 de ce numéro.

  • 2

    Voir notre enquête pages 21 et 22 de ce numéro.