Au travail, pas si simple d'adopter le FFP2
Avec l’explosion des contaminations par le variant Omicron, des scientifiques et politiques plaident pour la généralisation des masques FFP2. Ils sont certes plus protecteurs en conditions expérimentales. Mais, pour certains spécialistes, leurs contraintes sont peu compatibles avec une utilisation élargie.
Les équipements de protection respiratoire de type FFP2 sont-ils désormais préférables à nos masques chirurgicaux habituels pour casser la déferlante des contaminations ? Contrairement à un masque FFP2 correctement ajusté, un masque chirurgical ne permet pas d’éviter les fuites au niveau du visage et l’inhalation d’aérosols potentiellement infectants.
D’après une étude de modélisation parue le 7 décembre dans la revue scientifique américaine PNAS, les FFP2 apparaissent bien plus performants pour prévenir les contaminations aéroportées. Si deux personnes se parlent et portent toutes deux une protection de ce type bien ajustée, le risque maximum de contamination calculé par les chercheurs serait de 0,4 % contre 30 % pour deux individus portant des masques chirurgicaux. Au regard de ces données expérimentales, quelques-uns de nos voisins, comme l’Italie, l’Autriche et certains Länder en Allemagne, ont imposé le port du masque FFP2 dans les transports ou lieux publics fermés, voire sur les lieux de travail. En France, plusieurs voix se sont récemment élevées pour demander la généralisation de ces masques, en particulier pour les soignants et les enseignants. Saisi en urgence par le ministre de la Santé, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) doit remettre un avis sur la question au gouvernement en cette fin de semaine.
Le risque d’un sentiment de protection faussé
Membre du HCSP, Patrick Brochard, professeur en médecine et santé au travail à l’université de Bordeaux, pointe les limites de ces appareils de protection respiratoire : « Si le masque FFP2 n’est pas bien adapté au visage de celui qui le porte, il ne sera pas supérieur à un masque chirurgical. Mais il donnera à son porteur un sentiment de protection faussé ». Il serait en outre nécessaire que les personnes essaient plusieurs modèles, avant d’en choisir un correspondant à leur morphologie. Sans compter que l’ajustement et les contrôles d’étanchéité de cet équipement demandent une formation et un accompagnement. Une expertise non maîtrisée par les salariés et par les entreprises. « Un FFP2 bien adapté est de plus pénible à supporter sur le long terme. Si on veut l’adhésion au port du masque, il est nécessaire que celui-ci ne soit pas inconfortable », poursuit le spécialiste. Patrick Brochard rappelle que le masque chirurgical porté par tous diminue très significativement la concentration de virus dans l’air d’un espace clos.
« Un enseignant ne pourrait pas faire cours toute la journée avec un masque FFP2 correctement ajusté », estime pour sa part Francelyne Marano, professeure émérite de biologie cellulaire et toxicologie et présidente de la Commission des risques liés à l'environnement du HCSP. Pour des raisons d’inconfort respiratoire, la personne peut être tentée de l’enlever et de le remettre au cours de sa journée de travail, annulant de fait la protection.
La question de la généralisation du FFP2 pour tous les soignants est aussi posée. Dans un avis rendu le 31 décembre, la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H) estime qu’aucune étude ne permet de remettre en cause l’efficacité du masque chirurgical contre la transmission aéroportée du variant Omicron. Aussi ne préconise-t-elle pas le port systématique d’un FFP2 par les professionnels des établissements de santé et médico-sociaux. Elle le recommande dans certaines situations, lors des procédures de soin générant un aérosol dans les services Covid insuffisamment ventilés ou encore pour les personnels à risque de forme grave. « Le FFP2 est responsable d’inconfort, source de manipulation du masque et de risques de contamination via les mains », souligne la SF2H. Des arguments quelque peu surprenants s’agissant des personnels de santé, maîtrisant le risque infectieux.
Aucun masque ne filtre à 100 %
Les chercheurs de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) apportent quant à eux de nouveaux résultats expérimentaux sur l’efficacité barrière des différents types de masques. Leur étude, publiée dans la revue britannique Annals of work exposures and health, visait à la mesurer dans des conditions de laboratoire.
L’efficacité barrière des masques en tissu de catégorie 1 et des masques chirurgicaux jetables tourne autour de 25 %, c’est-à-dire que près de 75 % des aérosols utilisés dans cette étude et émis par une tête factice sur un banc d’essai ne sont pas arrêtés par le masque ; ils passent en grande partie par les fuites entre le masque et le visage. L’efficacité du meilleur modèle FFP2 est quant à elle voisine de 90 %. « Même si ces derniers sont plus performants dans ces conditions expérimentales, nos résultats montrent qu’aucun masque ne peut arrêter toutes les particules émises par une personne », souligne Sandrine Chazelet, chercheure à l’INRS au sein du laboratoire Procédé et épuration des polluants.
Le port du masque, quel qu’il soit, ne doit pas être l’occasion de s’affranchir des mesures de protection collective, comme l’aération des locaux, le nettoyage des surfaces, l’isolement des personnes symptomatiques. Hormis certains cas, par exemple pour les personnes à risque de forme grave ou lors de conditions de travail particulièrement exposantes, Sandrine Chazelet estime compliqué de généraliser le port d’un FFP2 au travail et dans la population générale. Dans son avis du 8 décembre, le Conseil scientifique recommandait celui-ci pour les personnes fragiles et les individus non vaccinés. Concernant les situations en milieu clos, masque chirurgical correctement porté et aération suffisante des locaux, contrôlée par des capteurs de CO2, font partie des mesures qu’il continue de préconiser.