Travailler « la boule au ventre » pendant l’épidémie
Une enquête de l'Ugict-CGT révèle que, pendant le confinement, la moitié des salariés disaient partir travailler le matin « la boule au ventre par crainte de contracter ou de transmettre le Covid-19 ». Il y a de forts risques que cette anxiété, qui pourrait perdurer ou rebondir avec l’épidémie, affecte leur santé psychique.
L’enquête « Le travail sous épidémie » réalisée par l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens CGT (Ugict-CGT) donne de nombreux éléments permettant d’appréhender ce qui, dans la situation personnelle et professionnelle des personnes interrogées1 , contribue à donner un sentiment d’insécurité sanitaire. Parmi les déterminants liés à la première, le plus important est l’état de santé : les personnes qui se considèrent « vulnérables par rapport au Covid-19 »2 sont beaucoup plus inquiètes (71 %) que les autres (46 %). C’est compréhensible, vu le rôle considérable des comorbidités dans le pronostic vital de l’infection par le Covid-19. Vivre avec une personne fragile renforce presque autant l’anxiété au moment de partir le matin (62 %), ce qui est logique au vu de l’importance des contaminations intrafamiliales. En revanche, les femmes, en général plus pessimistes (ou mieux informées…) sur l’évaluation de leur état de santé que les hommes, ne sont pas plus inquiètes d’aller travailler pendant l’épidémie. Avoir des enfants de moins de douze ans à la maison ne rajoute pas au sentiment d’anxiété, sans doute parce qu’on sait que les cas graves sont très rares chez les jeunes.
L’impact des réorganisations du travail
Le sentiment de boule au ventre ne dépend pas du statut d’emploi (précaire, fonctionnaire ou CDI), ni de l’appartenance de l’employeur au secteur public ou privé, ou de la taille de l’entreprise. En revanche, les cadres le ressentent moins souvent (32 %) que les ouvriers et les employés (56 %), et ceci, même à expositions identiques au risque de contamination. Les salariés exerçant des fonctions de nettoyage, de vente ou de soin sont plus inquiets que ceux qui travaillent à la production ou à la maintenance-réparation. L’anxiété est d’autant plus forte que le travail a été chamboulé suite à l’épidémie, à cause par exemple d’une hausse de la charge de travail (57 %) ou du temps de travail (51 %), ou d’une baisse de rémunération (60 %). L’insécurité socioéconomique associée à la pandémie pèse lourdement : 68 % des salariés qui pensent que leur emploi sera menacé partent le matin avec la boule au ventre. On retrouve ici le lien classique entre précarité et santé psychique, mais sans doute majoré par la situation inédite actuelle.
Une anxiété forte au contact avec le public et les collègues
Mais c’est surtout l’appréhension des risques encourus qui accroit l’anxiété. Devoir prendre les transports en commun augmente le sentiment de boule au ventre (53 %). Celui-ci est d’autant plus fort qu’on travaille en contact avec le public (57 %) et qu’on croise un nombre important de collègues au cours d’une journée de travail : de 39 % pour ceux qui ne rencontrent pas de collègues à 57 % pour ceux qui en croisent plus de vingt. Le respect des règles de distanciation physique est un facteur rassurant : 41 % des salariés estimant possible de maintenir une « distance de sécurité d’au moins un mètre entre les personnes » se disent inquiets, contre 59 % de ceux qui le jugent impossible. Manipuler des outils potentiellement contaminés ou travailler dans des lieux fortement fréquentés renforce aussi l’anxiété. En revanche, disposer de masques et gants en quantité suffisante tranquillise, tout comme l’accès à des lavabos ou du gel hydroalcoolique. En définitive, la qualité de la prévention joue un rôle déterminant : seuls 36 % de ceux qui la jugent tout à fait ou plutôt satisfaisante partent travailler la boule au ventre contre 64 % parmi ceux qui l’estiment insatisfaisante.
Le rôle des médiations collectives
Prendre le risque d’aller travailler alors que les autorités publiques prônent un strict confinement a souvent amené les salariés à s’interroger sur le caractère essentiel ou non de leur activité. Au final, 58 % des salariés qui ont poursuivi leur activité en présentiel jugeaient celle-ci « essentielle pour le pays pendant la crise sanitaire ». Mais pour les autres, l’inquiétude est plus fréquente : 54 % partent la boule au ventre, contre 46 % de ceux qui estiment leur travail essentiel. Ainsi, prendre des risques quand cela n’apparaît pas justifié par des considérations d’intérêt public, est encore plus anxiogène. De plus, 59 % des personnes disent partir la boule au ventre quand elles signalent avoir eu des échanges avec leurs proches, leurs collègues ou leurs supérieurs sur le caractère essentiel ou non de leur travail, contre 41 % quand elles n’en ont parlé avec personne. La discussion, si elle aboutit à une conclusion négative sur le caractère indispensable de l’activité, contribue à aggraver l’anxiété.
Ces discussions se sont surtout déroulées dans la sphère privée ou avec les collègues, rarement avec les représentants du personnel (6 %). Le rôle de ces derniers n’est pourtant pas négligeable dans la protection contre l’anxiété. La simple existence d’une consultation menée par la direction avec les élus ne suffit pas à rassurer les salariés : encore faut-il qu’ils aient obtenu satisfaction sur leurs demandes, en tout ou partie. Dans ce cas, « seulement » 40 % des salariés ressentent la boule au ventre, contre 53 % quand il n’y a eu aucune consultation, et 49 % quand les élus n’ont pas eu satisfaction. Quand les salariés estiment que les directions ont répondu aux demandes des élus concernant la prévention, ils jugent plus souvent (27 %) que les autres (15 %) que « les mesures mises en place sont totalement suffisantes » pour les protéger. On peut y voir le signe d’une certaine efficacité des représentants du personnel.
- 1Parmi les salariés interrogés, 3 652 se rendaient sur leur lieu de travail pendant le confinement, et 3 232 ont répondu à la question sur la « boule au ventre » ; c’est sur cette dernière population que porte l’analyse.
- 2Le questionnaire indiquait : « par exemple : enceinte troisième trimestre, 70 ans ou +, antécédents cardiovasculaires, obésité morbide, cirrhose, diabète lourd, insuffisance rénale chronique, cancer sous traitement, pathologies chroniques respiratoires, immunodépression ». Cela concerne 14 % des répondants en présentiel, 15 % de ceux en télétravail et 40 % de ceux en arrêt maladie.