"Travailleuses, travailleurs, levez le pied !"
C'est reparti. L'intensification du travail a repris sa course folle. Selon la dernière livraison de l'enquête nationale Conditions de travail1 , les contraintes de rythme ont de nouveau augmenté après la pause observée lors de l'édition 2005. Les marges de manoeuvre des salariés tendent à se réduire, même pour les cadres. La pression temporelle s'est encore accrue, le travail est devenu plus "bousculé", y compris dans les trois fonctions publiques. C'est une très mauvaise nouvelle pour les conditions de travail. Les troubles musculo-squelettiques, risques psychosociaux (RPS) et licenciements pour inaptitude médicale devraient continuer d'empoisonner la vie des entreprises. La menace de ne pas parvenir à atteindre l'âge de la retraite en conservant sa santé et son boulot est réelle.
Le bilan est donc médiocre, pour les politiques publiques de prévention des maladies professionnelles comme pour les entreprises, incapables de mettre en place un travail durablement supportable. Des accords nationaux prometteurs ont bien été signés, sur la qualité de vie au travail, la prévention des RPS ou les seniors. Mais sur le terrain, les employeurs font de la résistance. Et avec la politique d'abaissement du coût du travail et la course au "moins-disant social" organisée en Europe, la situation pourrait encore se dégrader.
Dès lors, face à cette sombre perspective, que peuvent faire les acteurs de la prévention des risques professionnels, et en premier lieu les CHSCT ? Après trente ans d'échec des approches classiques, il est peut-être temps de passer à une autre stratégie. D'exploiter toutes les ressources du droit et de la jurisprudence pour protéger les futures victimes de l'intensification du travail. D'inviter les salariés à se ménager. "Travailleuses, travailleurs, levez le pied et protégez-vous !" pourrait devenir le slogan de la prévention.
Dans cette perspective, les représentants du personnel devraient veiller à ce que tous les documents réglementaires - document unique d'évaluation des risques, fiche d'entreprise, fiche de prévention des expositions, dossier médical... - soient correctement renseignés. Leurs interventions en CHSCT, et par écrit en direction du médecin du travail, du chef d'entreprise, devraient alerter en permanence sur les situations où la santé des salariés est menacée. Toutes ces démarches constitueront autant de pièces permettant aux victimes du travail de faire valoir leurs droits à indemnisation. Le résultat n'est pas acquis d'avance, mais les déclinaisons jurisprudentielles récentes de l'obligation de sécurité de résultat sont favorables au salarié. Et ne demandent qu'à être exploitées.
Certes, on peut regretter de devoir en passer par la voie du contentieux de masse pour faire progresser la prévention et l'amélioration des conditions de travail. Mais de toute évidence, sur ces questions, les voies plus modernes de la concertation et du dialogue social, pourtant efficaces dans d'autres pays, n'arrivent pas à s'imposer en France.
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Les premiers résultats de cette enquête menée en 2013 viennent de paraître. Voir à ce sujet les pages 6 à 9 de ce numéro.