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Veille juridique

par Jacques Darmon, médecin du travail / 11 juillet 2023

Dans cette veille juridique du second trimestre 2023, on retiendra notamment les arrêts du Conseil d’Etat qui censurent deux homologations de plan social par l’administration du Travail. Les risques psychosociaux, résultant des restructurations, n’avaient pas été évalués par l’employeur.

PSE retoqués faute d’évaluation des RPS

Le Conseil d’Etat, dans deux décisions inédites du 21 mars 2023 (pourvois n° 450 012 et n° 460 660), a annulé l’homologation par la direction régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi (Direccte) d’Île-de-France1 de deux plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) où les risques psychosociaux (RPS) n’étaient pas évalués par l’employeur.
Dans ces deux affaires, le CSE des entreprises concernées (l’Agence nationale pour la formation des adultes et une filiale du groupe de presse L’Equipe) avait contesté le plan social devant le tribunal administratif, puis devant la cour administrative d’appel. Motif : les RPS, que les réorganisations étaient susceptibles de causer, n’étaient pas pris en compte et aucune mesure n’était prévue pour les prévenir. Ces décisions prises par le sommet de la hiérarchie judiciaire administrative rappellent qu’il appartient aux services de l’Etat de contrôler « tant la régularité de l’information et de la consultation des institutions représentatives du personnel que les mesures auxquelles l’employeur est tenu en application de l’article L. 4121-1 du Code du travail », comme on peut le lire dans l’un des arrêts.
En effet, au titre de cet article, l’employeur doit veiller à la santé et à la sécurité des salariés ; il doit mettre en œuvre des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation et mettre en place une organisation et des moyens adaptés. A l’administration donc, lorsqu’elle contrôle les documents fournis par l’employeur en vue d’homologuer le PSE, de vérifier si celui-ci a pris soin dans son projet d’identifier les risques provoqués par la réorganisation de l’entreprise et d’y remédier par l’application des neuf principes généraux de prévention prévus à l’article L. 4121-2 du Code du travail. Même si la société est en cessation d’activité ou en liquidation judiciaire.
Ces deux articles du Code du travail revêtent donc une importance capitale pour la prévention primaire. Notamment dans le cas de restructurations où, trop souvent, les « survivants » sont confrontés à une surcharge de travail ou doivent occuper des nouveaux postes mal calibrés. Ce qui génèrent RPS et troubles musculosquelettiques (TMS).
 

Tentative patronale contrecarrée

L’arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 16 mars 2023 (pourvoi n° 21-16217, inédit) porte sur l’opposabilité à l’employeur de la reconnaissance d’une maladie professionnelle par la caisse primaire d’assurance maladie (Cpam), au titre du tableau n° 97 (concernant les atteintes du rachis lombaire liées aux expositions à des vibrations corps entier) pour un salarié conducteur de grue.
Certains employeurs bien conseillés, lorsqu’une maladie professionnelle est reconnue par une Cpam, contestent cette reconnaissance, dans le but de la rendre inopposable à leur égard. S’ils ont gain de cause, souvent pour des problèmes de respect de la procédure par les caisses, alors ils n’ont pas à assumer financièrement les conséquences, liés à l’indemnisation de la victime, à l’aggravation de sa pathologie ou à la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. De plus, c’est « indolore » pour le salarié, en vertu de l’indépendance des rapports entre la caisse et l’employeur, d’une part, et entre la caisse et le salarié, d’autre part ; la reconnaissance de la maladie professionnelle reste acquise au salarié.
Dans le cas d’espèce, l’employeur, afin de rendre la maladie professionnelle du grutier inopposable, avait trouvé un moyen judicieux : il a fait mesurer les vibrations de l’engin sur lequel celui-ci travaillait. Les mesures étant inférieures aux seuils d’exposition pour les risques liés aux vibrations, il a demandé au tribunal d’en déduire que la maladie professionnelle ne pouvait lui être opposable.
Cependant, le tableau n° 97 n’évoque en aucune manière un seuil mais uniquement une exposition à des vibrations corps entier. La Cour de cassation a confirmé la décision de la cour d’appel qui avait jugé à bon droit que, le salarié étant exposé à des vibrations corps entier, la maladie professionnelle devait être opposable à l’employeur.
 

Les préconisations du médecin du travail, ça compte

L’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 29 mars 2023 (Cass. Soc. n° 21-15472, publié au Bulletin), a trait au refus d’un employeur (en l’occurrence, un service de prévention et de santé au travail !) de mettre en œuvre, dans le cadre du reclassement d’une salariée déclarée inapte, un temps partiel avec télétravail, sous prétexte que le travail à distance n’était pas pratiqué dans l’association.
La salariée a saisi la justice prud’homale afin de contester son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement, laquelle a déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse. En dernier ressort, pour la Cour de cassation, l’employeur n’a pas satisfait de façon loyale son obligation de reclassement. Il aurait pu aménager le poste de la salariée en lui permettant, y compris par un avenant à son contrat de travail, d’effectuer du télétravail sur le temps partiel préconisé par le médecin du travail parmi les mesures figurant dans son avis d’inaptitude.
 

Dénoncer le harcèlement moral sans le dire

L’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 19 avril 2023 (Cass. soc. n° 21-21053), publié dans le Bulletin d’information et dans le rapport annuel de la Cour, marque un revirement sur la dénonciation d’un harcèlement moral auprès d’un employeur.
Les faits sont les suivants. Dans un courrier adressé aux membres du conseil d’administration, une psychologue a dénoncé le comportement à son égard du directeur du foyer qui l’emploie : elle y faisait part d’une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé, sans mentionner expressément un harcèlement moral. Elle a ensuite été licenciée pour faute grave. La Cour de cassation a validé la nullité de son licenciement. Ainsi, selon la haute juridiction, « il y a lieu désormais de juger que le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu'il n'ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation ».
 

Action prud’homale après le licenciement d’un salarié protégé

L’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 19 avril 2023 (Cass. Soc. n° 21-21349, publié au Bulletin) concerne l’inaptitude d’un salarié protégé et la possibilité de contester les manquements de l’employeur l’ayant causée devant le conseil de prud’hommes. Lorsqu’un employeur en visage de licencier pour inaptitude un salarié protégé, il doit, après avis des représentants du personnel, demander l’autorisation de licenciement à l’inspecteur du travail. Celui-ci se prononce sur l’absence de lien entre l’inaptitude et le mandat du salarié, de même que sur la loyauté dans la recherche d’un reclassement. Si ces conditions sont remplies, il ne peut qu’autoriser le licenciement.
Dans cet arrêt, la Cour estime que l’autorisation administrative de licenciement « ne fait pas obstacle à ce que le juge judiciaire recherche si l'inaptitude du salarié a pour origine un manquement de l'employeur à ses obligations consistant en un harcèlement moral ou une discrimination syndicale ».
 

Quand débute une maladie professionnelle ?

Cet arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (pourvoi n° 21-17788, publié au Bulletin), concerne la contestation par un employeur de la date où la première constatation médicale d’une maladie professionnelle a été effectuée. Il souhaitait que la reconnaissance de cette maladie lui soit rendue inopposable, arguant qu’elle ne respectait pas le délai de prise en charge inscrit dans le tableau de ladite pathologie. La haute juridiction a confirmé comme date de départ celle fixé par le médecin conseil, correspondant au début de l’arrêt de travail, et non celle où le certificat médical initial a été rédigé.
La date de première constatation médicale d’une maladie professionnelle est importante à deux titres. D’une part, elle permet de vérifier, pour une pathologie figurant dans un tableau de maladie professionnelle, que l’on n’a pas dépassé le délai de prise en charge ; sinon il faut solliciter l’avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles au titre du 6e alinéa de l’article L. 461-1 du Code de la Sécurité sociale.
D’autre part, quand la maladie professionnelle est reconnue, cela entraîne rétroactivement l’indemnisation des arrêts de travail au montant des indemnités journalières de pathologie professionnelle, si le délai entre la date de première constatation et la date de reconnaissance est inférieur à deux ans.

  • 1Aujourd’hui direction régionale interdépartementale de l’Economie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (Drieets).