Une version renforcée du droit en santé au travail
Plusieurs enseignants en droit social ont conçu un Code du travail simplifié, qui accorde plus de poids aux questions de santé et renforce les prérogatives des acteurs de la prévention. Avec des partis pris parfois critiqués par certains syndicats et experts.
Refondre complètement le Code du travail. Personne n'avait jusque-là osé. Mais 22 universitaires viennent de le faire, sans pour autant rogner sur les droits et la protection des salariés. Leur texte est quatre fois plus court que le code actuel. Il est publié chez Dalloz comme un "vrai" code, avec la couverture rouge, sous le titre Proposition de Code du travail. Ce pavé tombe à point nommé, car le gouvernement vient d'annoncer qu'il renonçait, faute de participants, à créer une commission de refondation du Code du travail, prévue à l'article 1 de la loi El Khomri.
"Notre proposition n'est pas révolutionnaire", considère Emmanuel Dockès, professeur de droit social à l'université de Nanterre, initiateur et coordonnateur du projet. Il s'agit, selon lui, de "réformer, clarifier et consolider le droit du travail". Les chercheurs ont planché pendant plus d'un an et consulté à plusieurs reprises les équipes juridiques de trois centrales syndicales : la CFE-CGC, Solidaires et la CGT. Parmi elles, la CGT a souhaité attendre que sa commission exécutive auditionne les juristes avant de se prononcer officiellement sur le résultat. Quant à la CFDT, elle n'a pas participé aux travaux des chercheurs pour ne pas se mettre en porte-à-faux au moment des négociations autour de la loi travail. Enfin, les syndicats de médecins du travail et l'Inspection du travail n'ont pas été sollicités.
La santé au sens large
Ce Code rénové contient pourtant une nouvelle approche, plus globale, du droit de la santé au travail, qui "ne peut plus être limité aux seuls risques internes à l'entreprise". Les obligations des employeurs sont revues à travers ce prisme. Non seulement "l'employeur garantit la santé physique et mentale des salariés", mais "il prévient les risques pour la santé publique et l'environnement que l'activité de l'entreprise est susceptible de générer". Idem sur les principes généraux de prévention de la pénibilité au travail. Tout environnement agressif, y compris s'il découle de l'organisation du travail, peut être un critère de pénibilité, ce qui va bien au-delà des dix critères inscrits aujourd'hui dans la loi. Le champ d'intervention des représentants du personnel est donc plus large. L'idée est d'"acter le fait que les instances représentatives du personnel sont légitimes à agir sur tous ces sujets", précise Franck Héas, professeur de droit à l'université de Nantes.
Le fonctionnement du CHSCT est réformé dans cette optique. L'instance est rebaptisée "comité de santé et des conditions de travail" (CSCT). Une dénomination symbolique, qui évacue les notions d'hygiène et de sécurité. Sa mission est de préserver la santé, au sens de la définition de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), soit "un état complet de bien-être physique, mental et social", et pas uniquement une "absence de maladie ou d'infirmité". Une définition retenue après un long débat entre les chercheurs.
Droit de veto
"Il y a des limites, prévient Josépha Dirringer, maîtresse de conférences à l'université de Rennes 1. Cela ne signifie pas que l'employeur est investi d'un pouvoir sur la vie extraprofessionnelle de l'employé, qu'il doit l'enjoindre à arrêter de fumer ou à mieux se nourrir." Un type de dérive que combat Martine Keryer, responsable des questions de santé au travail pour la CFE-CGC : "L'employeur devrait s'occuper véritablement d'améliorer la qualité de vie au travail, plutôt que de compenser les horaires à rallonge et les autres travers d'une organisation du travail dégradée en ouvrant des salles de sport ou des services d'agrément."
Le CSCT disposera d'un droit de veto suspensif en cas de danger grave pour la vie ou la santé physique ou mentale d'un ou de plusieurs salariés. Le danger sera grave mais plus forcément imminent, ce qui permet de protéger les salariés en cas de risque psychosocial ou d'exposition à des cancérogènes. Une proposition qui inquiète le professeur de droit Pierre-Yves Verkindt. Il y a un "risque de blocage systématique et, en l'absence de blocage, cela pourrait signifier que le CSCT donne un blanc-seing à l'employeur", soutient-il. La proposition de code instaure aussi l'élection des membres du CSCT au suffrage universel direct. Une mesure qui figurait dans le rapport de Pierre-Yves Verkindt sur les CHSCT1 , en 2014, et qui permettrait, selon ce professeur, "de "conscientiser" toute la collectivité de travail sur les questions de santé au travail". Ce sujet est toutefois très clivant au sein des organisations syndicales et patronales.
Autre sujet qui fâche : l'employeur ne présiderait pas le CSCT, même s'il doit assister à ses réunions et mettre à sa disposition les moyens dont il a besoin. La présidence serait confiée au secrétaire. Les universitaires se sont inspirés du modèle allemand. Cette disposition permet, selon Franck Héas, d'éviter que "la direction joue le rôle d'interface ou de verrou". "Je ne vois pas comment le CSCT pourrait fonctionner ainsi !", s'exclame Martine Keryer, sceptique, voire franchement opposée à cette proposition, comme d'autres organisations syndicales. "D'autant que les préconisations descendent en général dans l'entreprise par son intermédiaire", rappelle-t-elle. "Un certain nombre d'entreprises seraient soulagées, car le président du CHSCT est plus exposé que celui du comité d'entreprise assure pour sa part Pierre-Yves Verkindt. Toutefois, dit-il, le principal danger d'une telle mesure serait de "laisser s'installer l'idée que l'employeur ne serait plus le premier responsable de la santé et de la sécurité en entreprise".
Enfin, les juristes proposent de supprimer les services de santé au travail autonomes, afin de mieux garantir l'indépendance des médecins du travail et de leurs équipes. L'ensemble de l'équipe pluridisciplinaire de santé au travail obtient un statut de salarié protégé, s'alignant sur celui du médecin du travail. Les médecins du travail sont aussi davantage impliqués dans la gouvernance des services de santé au travail, actuellement paritaire, "pour qu'ils aient une meilleure vision des rapports de force et y soient associés", argumente Franck Héas. Certaines organisations syndicales auraient souhaité que les rédacteurs aillent plus loin et se prononcent pour un rattachement de la médecine du travail à la Sécurité sociale ou au ministère de la Santé.
Fin de la visite d'embauche
Pour remédier à la pénurie de médecins du travail, la visite d'embauche serait supprimée, bien que les praticiens y soient très attachés. "Dans une logique de contrôle, c'est au coeur de leur métier, tandis que notre approche juridique mise sur une logique d'abord préventive", justifie Franck Héas. Martine Keryer a été "surprise par ce recul, combattu par la CFE-CGC au moment de la loi Rebsamen puis de la loi travail". Pour les postes à risque ou pénibles, le médecin du travail détermine la périodicité de la visite médicale, mais un salarié doit pouvoir être vu par le médecin du travail tous les dix-huit mois (contre cinq ans dans la loi travail). "C'est un choix arbitraire de notre part, assume Franck Héas. Il faut pouvoir accéder assez rapidement et à tout moment au médecin du travail."
Procédure de recours
Les juristes se sont aussi penchés sur la question des recours. Ainsi, lors d'un licenciement pour inaptitude, l'intervention du médecin-inspecteur du travail est simplifiée en cas de désaccord du salarié avec les propositions de reclassement du médecin du travail. La procédure est uniformisée, que la cause de l'inaptitude soit professionnelle ou non, "afin de ne pas faire de différence au regard du droit au licenciement souligne Josépha Dirringer. Celle-ci met cependant en garde : le Code du travail "le plus parfait du monde restera lettre morte si la justice du travail n'est pas en état de le faire appliquer". Selon elle, "il est absolument scandaleux qu'un salarié licencié pour inaptitude après un accident du travail doive aller devant trois juges différents pour être restauré dans ses droits".
C'est donc pour rendre les droits plus effectifs que les universitaires ont consacré un chapitre à l'ordre juridictionnel social. L'article 78-50 pose les principes d'une nouvelle institution : le tribunal social. L'idée est de réunir au même endroit le tribunal des affaires de Sécurité sociale (Tass), celui du contentieux de l'incapacité (TCI) et les prud'hommes"Une bonne idée", estime la CFE-CGC, "si cela permet d'aller plus vite"... et de rendre les procédures de reconnaissance plus transparentes et moins complexes.
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Lire "Le CHSCT doit être légitimé par l'élection directe", interview de Pierre-Yves Verkindt, Santé & Travail n° 86, avril 2014.
Proposition de Code du travail, sous l'égide du Groupe de recherche pour un nouveau Code du travail (GR-Pact), Dalloz, 2017.