"Les victimes du travail méconnaissent leurs droits"
Secrétaire général de la Fnath (Association des accidentés de la vie) jusqu'en novembre, Arnaud de Broca a mené à bien le projet de l'observatoire des parcours professionnels des travailleurs handicapés, dont il livre ici les principaux enseignements.
Durant trois ans, la Fnath (Association des accidentés de la vie) a observé les parcours professionnels de 10 000 travailleurs handicapés venus la solliciter (voir "Repère"). Qu'en est-il ressorti ?
Arnaud de Broca : Pratiquement toutes les personnes que nous avons reçues sont des victimes du travail. L'intérêt de cette vaste étude est de pouvoir donner chair à ce que nous disons depuis un certain nombre d'années, mais que les pouvoirs publics n'entendent pas toujours. En période de concertation sur la santé au travail et, parallèlement, sur l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés, il nous a paru intéressant de produire une photographie parlante des réalités vécues par ces personnes. Nous avons mis en évidence qu'elles ne disposent pas d'une vision globale des interlocuteurs qu'elles peuvent solliciter. Faute d'informations, elles n'anticipent pas les démarches à entreprendre et se trouvent souvent désemparées, notamment en fin d'arrêt de travail et de versement de leurs indemnités journalières. Elles méconnaissent leurs droits, qu'il s'agisse des aides financières pour adapter leur quotidien à leurs besoins ou des formations pour se reconvertir. Et elles sous-estiment, pour envisager la suite, l'importance de la visite de préreprise avec le médecin du travail.
Ces constats ont donné lieu à un document émettant 25 propositions pour améliorer les modalités d'un retour à l'emploi. Sur quoi faut-il mettre l'accent ?
A. de B. : Il n'y a pas forcément matière à demander de nouveaux textes de loi. Il faudrait déjà que ceux qui existent soient appliqués. Par exemple, il y a un vrai problème par rapport aux services médicaux. Ainsi, il y a une certaine défiance à l'égard du médecin du travail, qui est perçu comme étant payé par le patron. Vis-à-vis du médecin-conseil de la Sécurité sociale, c'est plus complexe. Les retours ne sont pas positifs du tout. Ce médecin a un pouvoir important : il détermine le taux d'incapacité, l'invalidité. Mais cela se fait trop souvent dans des conditions humainement peu sereines, bloquant tout dialogue. Une personne en arrêt de travail voit surtout son médecin traitant. La coordination entre les trois médecins est quasi inexistante ; pourtant, un article de loi la prévoit, dès lors que l'arrêt de travail est supérieur à trois mois. Et lorsque le médecin du travail émet, en direction de l'employeur, des réserves ou préconisations, elles ne sont que rarement suivies. Concernant la formation, c'est le parcours du combattant. Il faudrait sérieusement réfléchir à un type d'accompagnement, dans la durée, pour maintenir en emploi les personnes handicapées. En effet, leur situation a tendance à se dégrader au fil des ans, tant en termes de santé qu'en termes d'effectivité de l'emploi.
Au cours de la douzaine d'années que vous venez de passer à la tête de la Fnath, comment a évolué, selon vous, la prise en compte du handicap dans le monde du travail ?
A. de B. : Je n'ai pas noté, hélas, grande amélioration. Les personnes handicapées connaissent, aujourd'hui encore, un taux de chômage deux fois plus élevé que la moyenne des salariés. Le maintien dans l'emploi est rare, la discrimination importante. Un employeur a du mal à voir une victime du travail en termes de compétences. Le positif : les travailleurs handicapés sont plus nombreux au sein des entreprises, même si c'est souvent à temps partiel imposé. Et côté prévention, on constate des progrès. Mais des sources d'inquiétude demeurent : la reprise des missions des CHSCT par les CSE, l'évolution de la médecine du travail, le nombre d'inspecteurs du travail, très en deçà des besoins.