Vingt ans
" Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. " Ce vers de Boileau illustre bien l'état d'esprit de l'équipe de Santé & Travail au moment du bouclage de ce numéro, forcément un peu spécial, des 20 ans de notre magazine.
Depuis deux décennies, en effet, nous décortiquons l'information et les connaissances sur les risques professionnels, enquêtons sur des sujets souvent controversés, donnons la parole à des professionnels et des militants, organisons des débats, valorisons des savoirs scientifiques pour qu'ils soient accessibles aux non-spécialistes... Tout cela avec un double objectif : défendre la santé des travailleurs malgré les contraintes économiques, transformer le travail pour qu'il cesse d'être un lieu d'expositions à risque et d'aliénation.
Depuis deux décennies, inlassablement, nous revenons sur tous les fronts marquants de l'évolution des conditions de travail, pour armer les acteurs de la prévention : expositions aux cancérogènes, intensification du travail, souffrance psychique, troubles musculo-squelettiques (TMS), usure prématurée, sous-traitance des risques... Aucun sujet n'est tabou et nous sommes plutôt fiers d'être souvent considérés par nos détracteurs comme un magazine " engagé ". Il est certain que nous avons toujours détonné dans le petit monde feutré et policé de la prévention des risques professionnels.
Indépendant de tout pouvoir et de toute organisation, Santé & Travail joue le rôle d'aiguillon et, modestement, a contribué à désenclaver le thème de la santé au travail. S'il ne fallait retenir qu'un seul motif de satisfaction de cette aventure, ce serait sans conteste d'avoir " contaminé " nombre de nos confrères de la presse nationale et audiovisuelle. Nous n'avons plus l'exclusivité de ces sujets pour lesquels nous avons tant écrit. Et c'est tant mieux.
Pour autant, le chemin à parcourir pour préserver durablement la santé au travail est encore long. Pour preuve, la parution d'un décret sur la protection de la population contre les risques sanitaires liés à une exposition à l'amiante dans les immeubles bâtis, le 5 juin dernier. Malgré l'avis sévèrement défavorable du Haut Conseil de la santé publique sur une des dispositions du texte, consistant à prolonger pour une durée indéterminée les délais de réalisation des travaux de désamiantage dans les établissements recevant du public et les immeubles de grande hauteur, le ministre du Travail et de la Santé, Xavier Bertrand, a décidé de publier le décret tel quel. Et de faire l'impasse sur les recommandations de l'Agence de sécurité sanitaire concernant la prise en compte de fibres fines d'amiante dans les mesures d'empoussièrement et l'abaissement des seuils pour le déclenchement de travaux. La tranquillité et le porte-monnaie des propriétaires ont eu raison de la santé des travailleurs du bâtiment.
Au cours de ces vingt années, le travail n'a jamais été autant attaqué, rationalisé, pressurisé, sous l'effet de la financiarisation de l'économie, de la réduction des coûts de production, de la persistance d'un chômage de masse et de la disparition des collectifs de travail. Plus que jamais, alerter, informer, débattre et faire réfléchir constituent les préalables indispensables à la conquête d'un travail de qualité. Un travail dans lequel on puisse se reconnaître. Nous sommes prêts à en reprendre pour vingt ans !