Quel peut être l'apport de l'ergonomie concernant le maintien dans l'emploi ?
Samuel Libgot : L'intervention des ergonomes en entreprise vise à comprendre les situations réelles de travail pour les transformer au besoin, en mettant en lumière la façon dont les travailleurs vivent leur travail. Dans un contexte d'allongement de la durée des carrières professionnelles, en vue d'éviter l'exclusion précoce du marché du travail, il devient nécessaire d'appréhender autrement le vieillissement démographique. Ce dernier n'est pas une maladie, mais il faut regarder comment l'organisation du travail peut accélérer ce processus et mettre en exergue une perte de capacité. Vouloir maintenir les salariés en emploi revient donc à agir sur leur travail, ce qui est le fondement de l'ergonomie, en dépassant une approche de stricte compensation fonctionnelle d'une situation individuelle.
L'action du Groupement d'étude pour le développement de l'ergonomie en réadaptation (Geder) a-t-elle permis d'améliorer cet apport ?
S. L. : Le Geder est une association qui vise au développement de l'ergonomie dans les structures oeuvrant à la réadaptation des personnes en situation de handicap. Nos travaux ont permis de montrer que les situations d'entrave rencontrées par certains individus, qui ne correspondent pas à la norme de l'homme standard, sont révélatrices des difficultés que peuvent rencontrer leurs collègues. Ils ont aussi indiqué que la survenue de situations invalidantes annonce celle de situations de handicap. Il faut donc les prévenir. Pour viser une pleine intégration, il est ainsi indispensable d'agir, avant tout, sur les dimensions collectives du travail : le temps de travail, la coopération entre les travailleurs, etc. Dans un deuxième temps, on pourra s'intéresser à l'adaptation des outils de travail. D'une certaine façon, le siège ergonomique n'existe pas. C'est d'abord la possibilité de disposer de son propre corps qui va permettre la prévention du mal de dos ! La question est de voir comment l'organisation du travail peut évoluer pour permettre cette possibilité. On parlera alors d'organisations "capacitantes". Les ergonomes peuvent accompagner les entreprises dans cette démarche.
Quels sont les nouveaux défis ?
S. L. : La pratique de l'ergonomie dans le champ de la réadaptation amène la question suivante : à quel homme le travail doit-il être adapté ? Cela implique de se pencher sur les variabilités interindividuelles au travail. Les irrégularités de l'état de santé font partie de la normalité, qu'elles soient reconnues ou non comme telles. Mais elles augmentent la sensibilité des individus aux aléas du milieu de travail, alors que la bonne santé les tolère.
Repères
Créé en 1984, le Groupement d'étude pour le développement de l'ergonomie en réadaptation (Geder) est un lieu de réflexion et d'échange de connaissances sur la pratique de l'ergonomie dans les situations de handicap au travail. Ses travaux de recherche ont notamment porté sur la modélisation des situations handicapantes et sur la compréhension des processus d'exclusion des personnes handicapées dans le monde du travail.
Avec l'allongement de la durée d'activité lié au recul du départ en retraite, l'enjeu pour les entreprises sera de conserver leurs salariés, quels que soient leur âge ou leur état de santé. Pour cela, elles devront mieux prendre en compte l'altérité, le fait que les opérateurs ne sont pas similaires. Le défi à venir pour l'ergonomie, c'est sans doute de se rapprocher davantage des sciences de gestion pour former les dirigeants et les managers aux notions de travail réel et d'altérité, du fait de l'extrême diversité des populations au travail. La construction d'environnements "capacitants", permettant le développement de l'activité professionnelle sur les plans physique, cognitif et social, apparaît aujourd'hui comme un des objectifs de l'action ergonomique.