Les CHSCT ont encore du mal à se mobiliser sur le maintien dans l'emploi des salariés en mauvaise santé. A l'instar des employeurs, il peut leur arriver d'adopter une attitude d'évitement, renvoyant la question à une problématique individuelle : c'est le salarié qui a une difficulté pour faire ceci ou cela. De fait, leur action se limite bien souvent à un accompagnement des salariés lors de leur licenciement pour inaptitude. Pourtant, le CHSCT a un rôle essentiel à jouer dans la prévention des situations d'exclusion de l'emploi pour raison de santé. Sauf que de nombreux représentants du personnel ne maîtrisent pas ou ne connaissent pas les outils légaux qui leur permettraient d'agir. Quant aux directions, prises dans des exigences de productivité, elles anticipent peu les problèmes par la prévention et préfèrent souvent en "externaliser" la résolution auprès de la médecine du travail.
La première étape pour sortir de cette impasse est de faire un état des lieux. Pour le CHSCT, il s'agit non seulement de savoir combien de salariés sont touchés par un handicap, mais aussi d'identifier les situations où ils éprouvent déjà des difficultés à tenir leur poste de travail. Tôt ou tard, celles-ci peuvent déboucher sur des problèmes de santé plus aigus, empêchant les salariés de se maintenir en poste. Il s'agit donc d'être attentif à tous les signaux d'alarme en la matière : conflits entre salariés, absences, présentéisme... L'objectif est de repérer les situations potentiellement à risque ou à risque avéré.
Croiser les informations
Les sources d'information sont multiples. La première à exploiter est bien sûr celle du contact direct avec les salariés. Pour ce faire, les élus du CHSCT disposent de leur temps de délégation. Ils peuvent aussi décider d'une mission d'inspection spécifique (art. L. 4612-4 du Code du travail). De multiples documents peuvent également être consultés et donner lieu à discussion :
- le rapport et le programme annuels de prévention des risques professionnels (L. 4612-16) ;
- le document unique d'évaluation des risques (R. 4121-1) ;
- la fiche d'entreprise (D. 4624-37 et suivants) ;
- le registre des accidents bénins (art. L. 441-4 et D. 441-1 du Code de la Sécurité sociale), celui de la procédure d'alerte du CHSCT (D. 4132-1 du Code du travail), celui des mises en demeure de l'Inspection du travail (L. 4711-2) ;
- les rapports des enquêtes sur les accidents du travail et maladies professionnelles menées par le CHSCT (L. 4612-5) et les éventuels comptes-rendus de ses missions d'inspection ;
- les procès-verbaux des réunions de CHSCT.
Ces documents sont utiles dans la mesure où ils sont correctement établis, ce qui n'est pas toujours le cas. Il est donc nécessaire d'en vérifier la qualité, en croisant les informations qu'ils contiennent entre elles ou avec celles recueillies sur le terrain. Si leur contenu est incomplet, les élus du CHSCT doivent exiger qu'ils soient mis à jour.
Après cette phase d'inventaire vient le temps de l'action. Le CHSCT doit être consulté "sur les mesures prises en vue de faciliter la mise, la remise ou le maintien au travail des accidentés du travail, des invalides de guerre, des invalides civils et des travailleurs handicapés, notamment sur l'aménagement des postes de travail" (L. 4612-11). Si cet article du Code du travail confère au CHSCT la légitimité nécessaire pour intervenir sur le maintien dans l'emploi, cela ne suffit pas à garantir l'efficacité de son action dans ce domaine. Celle-ci est étroitement liée à la capacité des différents acteurs siégeant au CHSCT à coopérer. C'est bien la synergie entre leurs efforts respectifs qui fera que le CHSCT jouera correctement son rôle.
Le médecin du travail doit être vigilant
Les représentants du personnel ne sont pas les seuls responsables de la qualité du fonctionnement de cette institution. Le président, donc l'employeur, a lui aussi des responsabilités spécifiques en la matière. Et l'inspecteur du travail, qui siège au CHSCT, doit veiller à ce qu'il soit correctement consulté. Il y a enfin le médecin du travail, dont la participation est absolument nécessaire. Le rôle et les connaissances spécifiques de cet acteur le rendent incontournable. Comme stipulé par le Code du travail, il est le conseiller de l'employeur, des travailleurs, des représentants du personnel et des services sociaux sur "l'adaptation des postes, des techniques et des rythmes de travail à la santé physique et mentale, notamment en vue de préserver le maintien dans l'emploi des salariés" (R. 4623-1).
Repères
En matière de traçabilité des expositions, la fiche de prévention des expositions (art. D. 4121-6 à 9) remplie par l'employeur pour chaque salarié exposé et le dossier médical du travail sont deux documents réglementaires importants. Il est de la responsabilité des représentants du personnel de s'assurer qu'ils sont correctement établis, même s'ils ne leur sont pas directement accessibles. Comme le médecin du travail, qui tient à jour le second, est destinataire du premier, les représentants des salariés peuvent faire le point avec lui et lui demander ce qu'il en est... avec tact et diplomatie, car le sujet est sensible : le dossier médical est confidentiel. Ils peuvent aussi faire des opérations de testing avec les salariés concernés, lesquels ont le droit de demander communication de ces deux documents.
Lors des visites médicales périodiques ou de reprise après un arrêt maladie, le médecin du travail est censé anticiper le risque d'exclusion de l'emploi liée à une atteinte à la santé, qu'il s'agisse de pathologies provoquées ou non par l'activité professionnelle. Cela nécessite une grande vigilance de sa part, tant la crainte de la perte d'emploi ou le risque d'inaptitude incitent les salariés à taire leurs difficultés lors des consultations. Cette vigilance est rendue plus difficile par les récentes modifications réglementaires (décret n° 2012-135 du 30 janvier 2012), qui ont espacé les visites périodiques et ne prévoient de visite de reprise du travail qu'après trente jours d'absence. Il est donc important, par exemple, que les représentants du personnel s'assurent que le médecin du travail reçoit bien de l'entreprise toutes les déclarations d'accident du travail et de maladie professionnelle. Il ne reçoit en effet aucune information sur ce sujet de la part des caisses primaires d'assurance maladie. Ses coordonnées doivent aussi être affichées dans l'entreprise (adresse, téléphone, mail), afin que les salariés puissent le solliciter quand ils le souhaitent.
Plusieurs dispositifs peuvent néanmoins aider le médecin du travail à jouer son rôle d'alerte et de prévention. Pour les salariés dont l'arrêt de travail est supérieur à trois mois, une visite de préreprise est prévue. Elle peut être demandée par le médecin traitant, le médecin-conseil de la Sécurité sociale ou le salarié lui-même. L'objet de cette visite est de préparer la reprise du travail, sans que la date de celle-ci soit fixée. A son issue, le médecin du travail peut recommander des aménagements et adaptations du poste, formuler des préconisations de reclassement...
Bien entendu, en dehors des visites prévues par le Code du travail, rien n'interdit à un salarié de solliciter directement le médecin du travail lors d'un arrêt de travail plus court ou en raison de problèmes de santé n'ayant pas encore occasionné d'absence. Cette visite permettra de faire le point sur les difficultés prévisibles et d'entamer des démarches administratives à effectuer parfois rapidement : obtention de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), rencontre avec le service d'appui au maintien dans l'emploi des travailleurs handicapés (Sameth)... Elle permettra aussi de sortir le salarié de l'isolement, de réfléchir avec lui à des aménagements souhaitables, de l'informer de ses droits, comme la déclaration d'une maladie professionnelle. Et le médecin du travail en tirera une meilleure compréhension de la situation de travail.
Pointer les risques organisationnels
La visite de préreprise et la visite à la demande du salarié ne donnent pas lieu à l'établissement d'une fiche d'aptitude. En revanche, une fiche de visite peut être rédigée afin de stipuler par écrit les recommandations du médecin. Cette fiche sera remise au salarié, qui décidera ou non de la transmettre à l'employeur, avec copie au secrétaire du CHSCT. La rédaction d'une telle fiche, tout comme celle d'une fiche d'aptitude, exige une grande rigueur : le médecin doit insister précisément sur ce qui fait difficulté dans le travail au poste du salarié, plutôt que de multiplier les restrictions d'aptitude.
Si l'entretien clinique permet d'identifier un problème d'organisation du travail comme source de risque pour la santé et le maintien dans l'emploi du salarié, le médecin du travail peut le mentionner sur la fiche de visite et proposer que la question soit mise à l'ordre du jour d'un CHSCT. Il peut aussi rédiger un courrier détaillé, destiné à l'employeur avec copie au salarié, décrivant le problème d'organisation du travail, en précisant que cet écrit constitue une mise à jour de la fiche d'entreprise (D. 4624-37), ce qui permettra au CHSCT d'y avoir accès (D. 4624-39). Si ces constats cliniques se font lors des examens périodiques, ils seront intégrés au rapport annuel d'activité du médecin du travail, transmis lui aussi au CHSCT dans les entreprises de plus de 300 salariés (D. 4624-45).
Par ailleurs, toujours concernant un risque pour le maintien dans l'emploi d'un salarié, le médecin du travail peut désormais utiliser son droit d'alerte (L. 4624-3) : "Lorsque le médecin du travail constate la présence d'un risque pour la santé des travailleurs, il propose par un écrit motivé et circonstancié des mesures visant à la préserver." Cet écrit est adressé à l'employeur, qui doit prendre en considération les propositions du médecin et, "en cas de refus, fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite". L'alerte et la réponse de l'employeur doivent être tenues à la disposition du CHSCT. Ce devoir d'alerte médicale engage la responsabilité du médecin du travail ; ne pas alerter, c'est ne pas remplir sa mission.
Bien entendu, il n'est pas obligatoire d'attendre une réunion plénière du CHSCT pour évoquer ces différents éléments, surtout si le maintien dans l'emploi d'un salarié est en jeu. Pour avancer avec sérénité sur les dossiers, il peut être nécessaire d'organiser des rencontres entre les acteurs concernés (représentants du personnel, direction, médecin du travail) en dehors des séances plénières. En revanche, le fait qu'ils soient mis à l'ordre du jour d'une réunion de CHSCT contribuera à ce que le médecin du travail y participe.
En cas d'inaptitude
Restent enfin les cas, trop fréquents, où le médecin du travail fait le constat d'une inaptitude du salarié au poste de travail. Ce constat ne peut intervenir qu'après avoir étudié le poste en question et les conditions de travail dans l'entreprise, afin de vérifier qu'aucun aménagement n'est possible. Et deux examens médicaux successifs sont obligatoires avant de constater une inaptitude médicale au poste de travail (R. 4624-31). Cette procédure peut être le point de départ d'un reclassement en interne ou de l'acceptation tardive d'un aménagement de poste par l'employeur, après une étude ergonomique financée par l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) par exemple. Dans le cas où l'inaptitude est consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, les délégués du personnel doivent être consultés concernant le reclassement du salarié (L. 1226-10). Quant au CHSCT, s'il n'a pas à être consulté sur les décisions d'inaptitude, il pourra néanmoins en demander les causes au médecin du travail. Si elles trouvent leur origine dans le travail, il pourra engager le débat sur les aménagements à apporter afin d'éviter d'autres inaptitudes, en appui des préconisations du médecin du travail.